L'abaque d'or

Où le narrateur découvre petit à petit les inconvénients du rhum de contrebande servi à la pinte

C'était une époque où le talent était moins rare que la capacité à le reconnaître. La chose était suffisamment extraordinaire pour être notée — quoique peu de gens auraient eu cette idée, précisément à cette époque. L'un de ses effets secondaires était que l'on courtisait davantage les détecteurs de génie que les génies eux-mêmes. Parce qu'il y avait trop de représentants de la seconde catégorie et trop peu de la première. Les temps, disaient certains desdits génies, étaient troublés.

Troublés, pas autant que moi ce matin-là. Non parce que je n'étais pas du tout certain de l'endroit où j'avais passé la nuit, ni à cause de mon incertitude quant à ce que répondraient mes différents organes, en particulier digestifs, lorsque je tenterais de me lever. Peut-être en partie en raison des deux types en cuir râpé et clouté qui ronflaient sur le canapé à côté de moi. Mais surtout, à vrai dire, parce que d'après la manière dont le sang me remontait à la tête, je me trouvais en apesanteur.

Évidemment, ma raison me dictait qu'il existait un certain nombre de circonstances dans lesquelles il était parfaitement normal, pour un jeune homme sain de corps et d'esprit — du moins dans une large acceptation du terme — de se réveiller en apesanteur. Toutefois, la dictée s'arrêtait au moment où la raison, encore engourdie par des excès dont elle ne gardait qu'un souvenir diffus, tentait de préciser laquelle s'appliquait au cas présent. De fait, aucune n'incluait la présence potentielle de deux punks à tatouages sur un véritable canapé de salon.

Je commençai donc à passer en revue les circonstances douteuses dans lesquelles il pouvait arriver au jeune homme susmentionné de se réveiller en apesanteur. Elles étaient nettement plus nombreuses. Un certain nombre incluaient effectivement mes deux compagnons de lit. Parmi elles, je retins l'enlèvement pur et simple, l'embobinage par une jolie fille dont le souvenir se serait curieusement évanoui de ma mémoire et l'engagement volontaire sur un navire pirate ou contrebandier. Et, bien malheureusement, les deux premières semblaient passablement improbables. D'autant que j'avais encore sur la langue le goût du rhum.

Je fis de mon mieux pour m'extraire de la mince couverture qui me maintenait contre le cuit usé du canapé. Mon mieux se révéla insuffisant ; il fallut un coup de main — ou plutôt de coude, et assez brutal — de l'un de mes nouveaux amis pour me propulser hors de la couche et contre la cloison d'en face, la tête la première comme il se doit. Sonné, je tentai de m'orienter — de mon mieux, qui se révéla à nouveau insuffisant — et finis par déterminer que le bas se trouvait non du côté de mes pieds mais face à moi, que le canapé était boulonné à une paroi et que la chambre était en réalité celle d'un petit réacteur nucléaire.

Réacteur autour duquel s'affairaient telles des abeilles ouvrières deux jeunes femmes dans les tenues les plus improbables. Je réalisai soudain que le lutin qui tapait sous mon crâne était accompagné de toute une fanfare d'alarmes, de grincements, de chuintements et de cris essayant de les dominer. Avec un peu d'effort, je parvins à en saisir quelques mots :

— ... pression de vapeur nominale ! hurlait — par-dessus une fuite de vapeur qui ne devait pas avoir grand-chose de nominal — la maigrichonne, dont la veste de cuir arrivait au nombril et constituait la totalité de sa tenue, à l'exception d'une ceinture d'outils assez épaisse pour remplir l'office d'une jupe et d'une petite quincaillerie. Il faut...

— ... circuit de puissance en surchauffe ! s'époumonait sans l'écouter la grande blonde cambrée qui donnait l'impression d'être pliée en deux à l'envers sous la combinaison cuivrée qui la couvrait de la tête aux pieds. Je dérive l'alimentation...

— Commutation circuit auxiliaire sur les pompes à hélium, cria la première d'une voix haut perchée, dominant à peine les bruits de machinerie et les nouvelles alarmes qui ne cessaient d'éclater.

Je me tournai vers mes deux punks. Malgré le pandémonium qui régnait dans la salle du réacteur, lequel paraissait sur le point d'exploser, ils ronflaient toujours comme des souches. Mais, tandis que je les observais, je réalisai qu'ils étaient plus âgés que je ne l'avais cru au départ — sans doute avaient-ils largement dépassé la trentaine — et qu'ils se ressemblaient assez pour être jumeaux.

Ce fut à ce moment qu'entra par l'unique porte la preuve que je devais être encore en train de rêver. Ladite preuve avait la forme d'une jeune femme — ou du moins d'une créature féminine gavée d'énergie vitale — au teint sombre, au visage d'insulaire du Pacifique, haute de quelques deux mètres cinquante et dotée de deux paires de bras épais comme des cuisses — et de jambes comme des troncs d'arbres. Une déesse hindoue construite à l'échelle 2:1. En jean et débardeur tachés de graisse et de sang, les cheveux courts, armée d'outils à l'aspect légèrement effrayant, et tonnant d'une voix d'alto brûlante :

— Qu'est-ce que vous êtes en train de faire à mon réacteur ?

— Il y a une... commença la maigrichonne.

— Alicia, réveille-moi ces deux abrutis et ramène-les au poste de commandes. Isa, je t'ai déjà prévenue : ne t'approche pas de mes affaires ! Attrape Elric en salle des machines et dis-lui de ramener son joli petit cul ici en quatrième vitesse, ensuite va surveiller ces foutues batteries, je sens qu'on va bientôt en avoir besoin. Maintenant, quelqu'un va-t-il m'expliquer ce qui se passe ?

— Fuites de vapeur dans les compartiments inférieurs, pas assez de pression pour refroidir décemment la cœur, auxiliaires dérivés sur les pompes, résuma la blonde avec un débit digne d'un commissaire-priseur juste avant de disparaître.

— Bon. Et toi, là-bas ! me lança-t-elle brutalement tandis que la maigrichonne en cuir noir — Alicia — tirait les deux punks de leur rêverie. Tu sais poser un patch sur une conduite de vapeur ?

— Pas lui ! intervint le punk n°1. Le bousille pas tout de suite, il sait des choses.

— Aucune qui me serve en ce moment ! Monte avec eux au poste de commandes, le savant ! Je n'ai pas besoin de meubles dans mes machineries !

Je me retins de remarquer qu'elle avait, en fait, besoin d'un lit — ou d'un canapé — de camp, et suivis le mouvement. L'apesanteur, la gueule de bois et les sirènes qui n'en pouvaient plus de hurler m'avaient abruti au point que je ne compris que beaucoup plus tard, après avoir traversé le dédale de coursives à pleine vitesse, croisé le dénommé Elric fonçant en sens inverse et pénétré dans le cockpit rempli de cadrans et de consoles, que j'étais en train d'assister à ma première bataille spatiale.

Et par assister, j'entends participer activement. Je n'avais pas franchi le seuil qu'un type au visage oubliable, grisonnant, en uniforme de commodore de l'armée soviétique, me désigna un fauteuil libre devant un écran radar.

— Dès que tu vois quelque chose de petit et rapide, donne la distance, le quadrant et la vitesse.

— De petit ? répétai-je, hébété.

Je savais faire preuve d'une vive intelligence quand il le fallait ; mes traits d'esprit étaient légendaires.

— Comme une torpille, répondit sèchement la voix métallique d'une femme à la peau couleur cendre et aux allures félines.

— Oh... Euh...

Lé-gen-daires !

— Devant, au... au 340 ! Vitesse... ah... 3200 mètres par seconde !

J'entendis distinctement un soupir du côté de la dame grise — probablement une native de Sirius.

— C'est un chasseur, idiot ! gronda la maigrichonne en m'éjectant presque du siège. Laisse-moi...

— Alicia.

La voix posée du commodore jeta soudain un froid. L'étreinte douloureuse des serres d'Alicia se relâcha.

— Une torpille aura l'air de clignoter sur l'écran, expliqua-t-il patiemment. Et sa vitesse sera aux alentours de quinze ou vingt kilomètres par seconde. Ensuite, il faut que tu donnes une direction complète en trois dimensions. 340°, c'est la moitié d'un cap. Une longitude. Tu peux régler l'inclinaison de l'écran pour obtenir l'autre moitié, la latitude. Ici, aux alentours de 60°. Six, relève Fléchettes à l'artillerie. Fléchettes, descends aux tubes. As, prends la barre. Bella, reprends la navigation tactique. Alicia, je veux que tu me tiennes informé minute par minute de ce qui se passe aux machines. Le poisson qu'on a avalé a été mal digéré.

J'entendis distinctement Alicia s'étrangler et la Sirienne — Bella, apparemment — grogner quelque chose dans une langue que je fus incapable d'identifier. Posant les deux mains sur les contrôles du radar, je fis tourner l'écran dans toutes les directions avant de comprendre comment ajuster la rotation et la résolution.

— Chasseur à 342 par 58, annonça Bella. Formation serrée, trois appareils, en approche par tribord arrière, 112 par 121. Le connard qui nous a torpillés est toujours à nos fesses, 6000 kilomètres. As, Six, il faut qu'on dégage le champ sur le quadrant bâbord avant.

— Bâbord dix, nez à vingt degrés, annonça le punk n°1.

— Si tu me donnes 2G pendant dix secondes, je l'allume au canon, ajouta le punk n°2.

— Assiette —10, tangage +20, ordonna le commodore, répétant les recommandations de ses hommes d'une manière subtilement différente. Alicia, peut-on tenir 2G ?

— Sheran dit que non, Elric dit que oui.

— Paré pour allumage à 2G.

Je ne remarquai qu'alors le petit point à côté du chasseur vers lequel nous étions, si je comprenais correctement ce qui se passait, sur le point de foncer à pleine vitesse.

— Il vient de tirer ! criai-je à l'instant où le pilote — alias punk n°1 — se préparait à abattre le poing sur ce qui devait être une sorte de manette des gaz.

Il hésita.

— Il n'y a rien ! rétorqua Bella avec cette fois une franche hostilité.

Je réglai frénétiquement la résolution de mon radar.

— 45 kilomètres par seconde, distance 600 kilomètres, maintins-je.

— Microroquette ! s'exclama l'artilleur — alias punk n°2.

— Tu peux l'avoir au laser ? interrogea le commodore, visiblement pas démonté.

— Pas le bon radar. Machin — c'était moi —, tu as un cap précis ?

— 366 par... 58, répondis-je aussi vite que possible.

— Balayage grille ! Et... elle a sauté !

— Accélération 2G, ordonna le commodore.

Passer instantanément de l'apesanteur à deux fois mon poids engendra une certaine désorientation qui, commençant dans mon oreille interne, se propagea de proche en proche à mon cerveau, mon cœur et enfin mon estomac. Des applaudissements sonores saluèrent ma performance lorsque je me délestai d'une part substantielle de mes excès de la veille sur le plancher métallique du cockpit, qui commença aussitôt à rouiller. Le rhum de contrebande ne pardonne pas.

Un choc sourd indiqua que l'artilleur avait tiré au canon, une vive lumière sur mon écran qu'il avait touché quelque chose, et un clang métallique suivi d'un bref épisode de ténèbres que l'arrêt d'urgence du réacteur s'était déclenché. L'apesanteur revint aussitôt.

— Super, grogna Alicia. Et maintenant ?

Deux mains s'abattirent sur mes épaules. Après un sursaut et la soudaine impression que ma vie allait se mettre à défiler devant mes yeux, je me retournai pour trouver mes deux punks tout souriants.

— Bien joué, gars, me complimenta le pilote. T'as dû oublier depuis hier, alors je te rappelle pour la forme : Arsenic.

Et de me tendre une main calleuse que je serrai sans déborder d'enthousiasme.

— Ouaip, beau repérage, ajouta l'artilleur. Sixfeetunder, si tu perds effectivement la mémoire après deux rhums.

— Deux pintes, se crut obligé de souligner le premier.

— Pourquoi ? Tu le prends comment, toi, le rhum ?

Les lumières revinrent et la voix distordue de la déesse hindoue — Sheran ? — retentit dans tout le poste de commandes.

— Voilà pourquoi il faut m'écouter, moi, quand je dis de pas forcer sur le réacteur, et pas ce petit merdeux d'Elric !

— Quatre torpilles en arrière ! intervins-je en les voyant s'allumer sur mon radar.

Un moment de silence passa.

— Quand même, finit par déclarer Arsenic, plutôt au demi qu'à la pinte. Avec du citron et des glaçons.

— Mais arrête donc de nous faire passer pour des fiottes ! Même Bella collerait pas des glaçons dans son rhum. Hein Bella ?

— La ferme, Six.

Les torpilles avaient à présent parcouru la moitié de leur chemin vers nous.

— Et toi, Alicia, le rhum ?

— Pas mon truc. Je suis plutôt vodka. À la bouteille, du coup. À propos de rhum, je sais que tu n'es pas le premier à en coller plein le plancher, mais il va falloir nettoyer ça. Enfin, on attendra d'avoir un peu de gravité, sinon ça risque d'être franchement dégueulasse.

— Euh... me crus-je forcé d'intervenir malgré ma conscience aiguë que j'étais en train de vivre une sorte de bizutage. Les torpilles ?

— On s'en fout ! répondit Alicia.

— Avec le réacteur éteint, expliqua le commodore, toujours aussi patient, nous n'avons plus de signature électromagnétique. Les torpilles, comme nos amis d'ailleurs, ne peuvent plus nous suivre qu'au radar actif. Et le revêtement de la coque disperse les micro-ondes et génère des faux échos partout.

De fait, les torpilles — qui, un instant plus tôt, paraissaient fondre sur nous telle la misère sur le bas peuple — avaient dévié de manière appréciable de leur cap original ; en un instant, elles nous dépassèrent et poursuivirent leur course jusqu'à extinction de leurs propulseurs. Le commodore me sourit avant de se pencher sur l'interphone.

— Sheran, purge la vapeur dans les tuyères, ça nous fera un peu de poussée. Ensuite à l'hydrogène chaud, un dixième de G, je ne veux pas d'infrarouges. On file discrètement.

Et, sous mes yeux, la flottille qui menaçait de nous submerger un instant plus tôt — trois chasseurs et ce qui, d'après la taille de la tache sur le radar, devait être au moins une frégate — se dispersa lentement, lancée à la chasse aux oies sauvages.

— Tu ne t'en es pas trop mal sorti, le bleu, finit par admettre Bella. Belladone, tacticienne.

Ce fut à ce moment qu'assez de conscience refit surface derrière les brumes éthyliques qui obscurcissaient mon jugement pour que je ressentisse une infime pointe d'inquiétude. Soudain, les noms rappelèrent des souvenirs familiers — Arsenic, Sixfeetunder, Belladone, Alicia, Sheran... Non ! Je n'avais quand même pas commis la folie de m'engager dans l'équipage du...

— Capitaine Shakarûn, se présenta le commodore.

Où le narrateur tente de vaincre la chaîne de causalité inhérente à l'absorption des pintes susmentionnées

Arsenic et Sixfeetunder ne furent pas trop de deux pour me remettre en tête toutes les aventures, les accidents et les coïncidences de la veille. Tout était, naturellement, la faute à la société — et, en l'occurrence, pas n'importe quelle société : rien de moins que le Syndicat Électrique de Ganymède, élégamment appelé “les Salauds” dans les milieux les plus introduits. Les salauds qui exploitaient leurs propres hommes. Les salauds qui faisaient commerce de chair humaine. Ou, plus raisonnablement, les salauds qui avaient fait tomber toutes les entreprises mettant un pied dans l'électronique et avaient, en conséquence, acquis un monopole total sur l'industrie dans toutes les colonies du système solaire.

Les salauds qui m'employaient depuis un lustre.

Le talent — sans me vanter — étant plus rare que la capacité à le détecter, ils avaient profité du mien — encore une fois sans me vanter — une fois de trop. Et par une, j'entends trois ou quatre. Les souvenirs de la veille mirent un moment à se remettre en place. Apparemment, les deux punks en pleine frénésie de boisson et de recrutement m'avaient “découvert” dans un bar des bas quartiers de Ganytown, passablement éméché et en plein complot de vengeance.

Tout cela parce que je ne les avais pas laissés voler ma dernière invention. Je suis presque certain qu'à ce point de la soirée, je ne me souvenais même pas de la nature de ladite invention — seulement de la manière dont ils s'étaient approprié mon projet, mes idées, développées et mises en pratique sur mon temps libre que j'aurais pu employer à me consacrer aux loisirs sains qu'offrait la vie coloniale — la boisson et la procréation — et, ayant obtenu ce qu'ils attendaient, m'avaient jeté à la porte aux premières protestations.

Après quoi j'avais, de toute évidence, décidé de renouer avec les loisirs sains en question, l'absence de compagnie féminine indiquant clairement que j'explorais en profondeur le premier avant de passer au deuxième. Les deux diables m'avaient entraîné des bas quartiers aux encore-plus-bas quartiers, dont j'ignorais jusqu'alors l'existence. Les clubs fermaient plus tard, les filles étaient moins pudiques et l'alcool était moins légal. Le nom que l'on collait sur les bouteilles dépendait principalement de la couleur du contenu.

J'y appris, parmi d'autres leçons, que le rhum pouvait se boire à la pinte, mais que la chose n'était pas recommandée. Une fois mes derniers restes de raison noyés — ou plutôt dissous — dans une brume d'éthanol, je leur expliquai posément que j'allais, dans les jours à venir, faire tomber le Syndicat. Jours, oui messieurs. Enfin, mois. Au pire, quelques années. Ils s'étaient foutus de moi une fois de trop.

Comment je m'était retrouvé à bord du Silure m'échappait toujours et, pour une raison que j'ignorais, aucun de mes deux nouveaux amis ne voulut m'éclairer là-dessus. De toute évidence, je leur avais correctement vendu mes compétences, plus un secret que même deux pintes de rhum ne m'avaient pas fait révéler. Je me sentis légèrement fier de moi. Ils ne connaissaient pas la nature de ce que m'avait volé le Syndicat. Pas plus que le Syndicat, d'ailleurs.

Mais je leur avais vendu la possibilité de détourner les vaisseaux des Salauds dès qu'ils auraient été équipés de mon invention révolutionnaire. Sans leur vendre ladite invention. Je ne me savais pas capable d'un pareil exploit ; peut-être mes échecs répétés à convaincre qui que ce fût de quoi que ce fût n'étaient-ils qu'un problème d'ordre purement médical — un simple manque d'alcool dans le sang. Je me promis d'étudier cette hypothèse au plus tôt.

Pour l'heure, je commençai la visite du Silure par son infirmerie, où je fus accueilli par la grande blonde que j'avais brièvement entrevue près du réacteur. Elle avait abandonné la combinaison cuivrée pour une sorte de robe dorée parfaitement improbable dont je réalisai soudain qu'elle était parfaitement assortie à ses cheveux, ses yeux, ses ongles, son teint et, ce qui ne laissa pas de m'inquiéter, une coupure qui lui zigzaguait sur le bras.

— Isadora, se présenta-t-elle. Non, pas de nom tout de suite ! ajouta-t-elle lorsque j'ouvris la bouche pour faire de même. Tu es officiellement un pirate maintenant, tu as le droit de choisir le tien.

— Je n'allais pas te donner le vrai ! répliquai-je, vaguement offensé.

Il me restait, malgré ma position actuelle, assez de jugeote — sans plaisanter ! — pour préserver mes secrets de Polichinelle.

— D'accord. Alors qu'est-ce que tu allais dire ?

— Quelque chose comme “enchanté”, je suppose.

— Joli nom. Et ta spécialité ? Là, tu peux me donner la vraie.

— Électronique. Informatique embarquée. Informatique tout court.

— Oh, répondit-elle, aussi impressionnée que tous ceux avec qui j'avais déjà eu cette conversation.

Le manque de reconnaissance me tuera. Si ce n'est pas l'abus d'alcool de contrebande, une torpille, un peloton d'exécution, une électrocution involontaire, une électrocution volontaire — il m'arrive parfois d'agacer un peu les gens — ou une conduite de vapeur mal patchée. Mais je penche plutôt pour le manque de reconnaissance. On ne reconnaîtra mon génie qu'après ma mort, ce qui me gêne un peu — “reconnaissance” et “le plus tard sera le mieux” ne font pas bon ménage.

— Et tu sais piloter ? ajouta-t-elle avec l'intention évidente — je ne suis pas paranoïaque — de m'enfoncer encore un peu.

— Non.

— Tirer, diriger une torpille, réparer des machines, usiner des pièces de rechange, ce genre de choses ?

Oh, mais au fond, est-ce que tu sais faire quelque chose d'utile, à part boire du rhum à la pinte ? Il m'était rarement arrivé de détester quelqu'un aussi rapidement et aussi intensément. Pourtant, elle avait une sorte d'air innocent. Ce sont les pires !

— Pas davantage, mais je me débrouille avec un radar.

Je parvins héroïquement à réprimer la montée de vapeur dans mes conduites. Aucun patch n'aurait pu contenir l'explosion.

— Oh, tu es un peu comme moi quand je suis arrivée ici, alors ! dit-elle joyeusement.

— Quoi, inutile ? répliquai-je.

Elle parut tomber des nues.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire !

Mais c'est ce que tu as dit !

— Je voulais dire, ajouta-t-elle, que moi aussi, j'avais commencé par l'électronique.

Peut-être ma haine reposait-elle, en fin de compte, sur une base plus fragile que je ne l'imaginais. Il m'était déjà arrivé par le passé — quoique fort rarement — de commettre ce genre de méprise. Mais ma détestation universelle de chaque représentant de l'espèce humaine m'avait rarement trahi. Sans doute s'agissait-il d'un trait de caractère nécessaire pour rejoindre un équipage pirate.

— Excuse-moi, réussis-je à lâcher malgré tous mes instincts. Je suis un peu à cran...

— Ta première bataille ?

— Première bataille, premier vol spatial, première cuite au rhum avec Arsenic et Sixfeetunder...

— Beau baptême du feu. Tu as eu de la chance, ça n'a pas fait trop de dégâts...

— Le réacteur a l'air...

— Je parlais de la cuite.

— Oh.

Peut-être existait-il finalement une chance pour que je finisse par m'entendre avec cette fille. D'autant qu'elle prit excellemment soin de moi. L'aspirine distribuée à bord contenait également de la morphine, des benzodiazépines et assez d'amphétamines pour réveiller un cheval mort. Dire que je me sentais mieux après ce traitement de choc serait sans doute imprécis. Je ne me sentais plus du tout. Mais j'étais à nouveau en état de servir à quelque chose sans la nécessité d'une violente décharge d'adrénaline — et sans la possibilité d'une décharge de mon estomac.

Je me décidai donc à mettre un terme à ma relation largement fictionnelle d'animosité réciproque avec Isadora et portai mon dévolu sur la dénommée Alicia pour combler ce manque. Son hostilité à mon égard était aussi évidente qu'inexplicable, ce qui me convenait parfaitement. Je la retrouvai à la salle des machines, où elle travaillait avec Sheran — la déesse hindoue — sur le réacteur. Ce fut l'occasion de découvrir que ladite hostilité avait, par un mécanisme que j'étais encore incapable d'identifier, contaminé l'improbable Polynésienne. Je me sentis repoussé comme par un champ magnétique en franchissant la porte.

— Tiens, grinça Sheran, voilà le savant. Si tu as peur de te salir les mains avec les tuyaux, tu voudras peut-être te rendre utile avec l'électronique de puissance ?

Je sentis les signes avant-coureurs d'une électrocution “accidentelle”. Mais il était temps de commencer à jouer. Après tout, je ne m'étais pas engagé sur le Silure pour me faire des amis. Je m'étais engagé pour... Bon, la mémoire finirait par me revenir. Quelque chose à voir avec une vengeance, en tout cas.

— Bien volontiers, répondis-je sans la moindre apparence de défiance.

— L'alimentation des pompes à hélium a claqué. Derrière le panneau 27. Regarde ce qui se passe.

Les panneaux d'accès étaient suspicieusement isolés par des barres de plastique épaisses de dix centimètres.

— Terre.

Sheran me jeta un regard glacial.

— Pardon ?

— Rien, juste une pensée incidente.

— Garde-les pour toi, elles ont déjà fait assez de mal comme ça.

L'hostilité se doublait donc d'une forme de rancune. Avais-je gravement offensé l'une des deux compagnes ? Certainement pas la géante, deux pintes de rhum n'auraient pas suffi à en effacer le souvenir. Alicia, alors ? L'avais-je blessée en exprimant une pensée incidente ? Et l'incident avait-il quelque chose à voir avec la manière dont je m'étais retrouvé à bord — et avec le silence amusé des deux punks ?

Gardant pour moi ces nouvelles pensées incidentes, je saisis un rouleau de câble électrique, en coupai un mètre et accrochai un voltmètre à chaque extrémité. Les deux jeunes femmes interrompirent leur travail “urgent” pour me regarder m'approcher du panneau et déployer mon antenne improvisée perpendiculairement. D'après les chiffres qui apparurent sur l'écran et qui ressemblaient au chiffre d'affaires du Syndicat, approcher ledit panneau à moins de dix centimètres devait être suffisant pour causer un bel arc électrique.

— Terre, répétai-je avec cette fois comme un soupir d'ennui.

— On dirait que tu connais ton affaire, finalement, reconnut Sheran en me tendant un énorme câble.

Si ce machin était une terre, j'étais le Secrétaire Général du Parti Communiste. Je ne me risquai même pas à en approcher une main. En revanche, je ne vis aucun objection à coller mon antenne contre le panneau au moment où la chose passait à portée. L'arc résultant fut violet intense et accompagné d'une odeur d'ozone des plus charmantes. J'entendis la géante hoqueter et supposai que c'était la surprise et non un effet capacitif bizarre par lequel elle aurait reçu la belle décharge qu'elle me promettait.

À ma grande surprise — et contrairement à mes excellentes habitudes —, j'avais tort, ainsi que m'en informa un torrent de jurons.

— Tu es complètement malade ! hurla Alicia tandis que Sheran tentait de reprendre le contrôle de sa langue, qui agonissait l'univers entier et en particulier le sous-ensemble dont les particules les plus élémentaires avaient un jour eu la mauvaise idée de s'assembler pour former votre serviteur.

— J'ai dit “terre”. Terre, pas circuit d'amorçage du générateur auxiliaire. Alors pourquoi est-ce que je me suis retrouvé avec ce machin entre les mains ? Enfin, entre les mains de quelqu'un, je ne suis pas fou. Tu veux me dire à quoi rime cette vendetta ? Maintenant que les pompes sont reparties, le gros du travail est fait, non ? Alors tu as plein de temps à perdre pour m'expliquer pourquoi vous vous êtes mises d'accord pour me tuer. Je me trompe ? Ou est-ce qu'il faut que j'insiste auprès de Six et As pour avoir le fin mot de cette affaire ?

Je me régalai en la voyant resserrer son blouson de cuit trop petit sur sa poitrine dans un réflexe parfaitement inconscient. Évidemment, je n'était pas très fort dans les rapports humains, mais je parvenais un peu à me rattraper dans les rapports de force. En particulier lorsqu'ils impliquaient la force électromagnétique. Une carrière au Syndicat ne se déroulait pas sans incidents, et peu d'incidents n'incluaient pas quelques centaines de milliers de Volts.

— Voyons cela autrement, ajoutai-je en observant du coin de l'œil l'outil inconnu que dégainait Sheran en faisant de son mieux pour rester discrète. Nous allons passer un peu de temps ensemble et je n'ai aucune raison de détester aucune d'entre vous. Alors ?

— Tu as fait du mal à Alicia, gronda la Polynésienne. Et tu dois payer pour ça.

Son sang-froid et le calme avec lequel elle évoquait la torture qu'elle entendait toujours me faire subir m'auraient glacé d'effroi si je n'avais pas pratiqué les entretiens de ressources humaines du Syndicat.

— Bon sang, est-ce que j'aurais fait quelque chose de déplacé hier soir ? J'avoue ne pas me rappeler très bien comment je suis arrivé ici.

— À bord de ma navette, répondit Alicia, avançant vers moi pour me prendre en tenaille. Navette que tu m'as volée après m'en avoir éjectée par la force, et ce après m'avoir tiré dessus !

Un vague souvenir me revint soudain en mémoire. Les punks m'avaient roulé ! J'avais gagné ce pari, et ils ne m'avaient pas payé la tournée qu'ils me devaient. Les dernières pièces du puzzle tombaient en place.

— J'ai abordé ta navette ?

— Oui !

— Et je t'ai tiré dessus...

— Exactement !

— Avec...

— Avec un pistolet à plasma !

Là, une pièce manquait.

— Mais je n'ai pas de pistolet.

Sheran se raccrocha soudain à une paroi, arrêtant net sa progression prédatrice vers ce qu'elle prenait encore — ce qui prouve que les gens n'apprennent rien — pour une proie facile.

— Tu n'as pas de pistolet ? répéta-t-elle, jetant un regard interrogateur à son amie.

— J'ai un shocker, mais pas de pistolet.

— Un shocker ?

— Une de ces armes d'auto-défense un peu bricolées, un émetteur de micro-ondes qui cause une vague impression de brûlure.

Un shocker ? répéta à son tour Alicia, se hissant rapidement à mon niveau en matière de répliques spirituelles.

Quelqu'un — et par quelqu'un je veux dire quelques-unes — était en train de découvrir que la malice bon enfant de certaine nouvelle recrue pouvait en cas de besoin se jouer d'un pirate accompli ou de quelques millions de Volts. J'apprécie ces moments de répit où l'adversité réalise qu'elle a été roulée.

Ayant achevé de recouvrer mes souvenirs perdus — à l'exception de celui où je me trouvais aux commandes de la navette, que je n'ai toujours pas retrouvé aujourd'hui — et fait connaissance avec l'essentiel de l'équipage, il devenait urgent de préparer ce pour quoi je m'étais lancé dans toute cette aventure : planifier ma vengeance.

Où le narrateur pratique les arts arcaniques de la diplomatie et de la négociation

Je fut heureux de découvrir que mes nouveaux employeurs avaient prévu mon arrivée et m'avaient aménagé une cabine douillette dotée de toutes les commodités. J'entends par là que quelqu'un s'était donné le mal de vider l'armoire électrique dans laquelle on avait installé un matelas doté d'une ceinture — pour l'apesanteur — et que ledit quelqu'un avait poussé l'hospitalité jusqu'à y ajouter une lampe et un terminal. On avait même eu la courtoisie de me donner un accès en lecture seule à la plupart des systèmes du bord et un tas de plans et de schémas, pour la plupart illisibles, supposés m'instruire sur la manière dont fonctionnait le Silure.

Je n'étais pas fâché d'avoir regagné les bonnes grâces de l'ingénieur en chef. Les velléités homicides de Sheran avaient quelque chose de dérangeant — et sa capacité à les mettre en pratique plus encore. Alicia me détestait davantage à chaque minute qui passait, mais j'avais du mal à me sentir effrayé par sa haine irrationnelle. Pas après lui avoir volé une navette que je ne savais pas piloter, ivre mort et armé de l'équivalent électromagnétique d'un spray au poivre.

Je passais le temps en me remettant de ma cuite et en feuilletant les manuels de navigation et des commandes du terminal lorsque le grand moment arriva. Mon moment. Mon passage sur scène.

L'immense, le très-haut, Sa Majesté le capitaine Shakarûn me convoquait au mess. Et l'invitation me fut portée en personne — et non par interphone interposé, peut-être parce que celui qui avait été installé dans ma cabine avait mystérieusement cessé de fonctionner cinq minutes après ma première occupation des lieux — par une Isadora plus charmante que jamais.

Il eut la délicatesse de m'accueillir avec un grand verre de bourbon et un sourire de requin. Je sentais le défi et faillis ne pas le relever — mais me sentir ainsi sous-estimé me blessa par trop cruellement. Nous trinquâmes, je bus mon verre, son sourire s'élargit, je bus le sien, il eut l'air surpris, et je m'assis en essayant de me faire pardonner par mon estomac, mon foie et tout autre composant de mon système digestif que j'étais en train d'offenser sans connaître son existence.

— Très bien, attaqua-t-il en vrillant son regard d'un noir de charbon dans le mien — qui devait plutôt tirer sur le rouge. Il faut que tu me donnes quelque chose.

Il jouait le bon flic. Je jouai les idiots.

— Quelque chose, capitaine ?

— Tu as quelque chose qui peut compromettre les vaisseaux du Syndicat. Ils sont en général trop bien protégés pour faire des proies intéressantes.

Trop bien protégés ? Le type qui avait anéanti à lui seul une flottille entière de cuirassés à Tau Ceti renâclait devant les quelques canons des rafiots du Syndicat ? Je devais si bien jouer les idiots qu'il m'avait pris pour un vrai.

— Donc le Syndicat vous verse une prime pour éviter les attaques, répliquai-je, et vous voudriez pouvoir faire main basse sur leurs cargaisons et que ça ait l'air d'un accident.

Pas si idiot que ça non plus.

— Disons qu'il existe un ensemble de raisons pour lesquelles l'attaque de front de leurs cargos n'est pas une option, répondit-il un peu plus prudemment. J'entends que tu as un autre moyen.

— En effet.

Un silence passa. Je savais ce qu'il attendait, il savait ce que moi, j'attendais, et chacun savait que l'autre savait ce qu'il attendait. Je n'allais sûrement pas céder le premier ; il avait un vaisseau à commander tandis que je m'endormais presque sur place.

— Un homme prudent me donnerait ce que j'attends de lui, dit-il d'un ton beaucoup trop neutre pour ne pas être menaçant.

— Un homme prudent ne s'engagerait pas dans cet équipage.

— Un homme prudent ne testerait pas ma patience.

— Un homme prudent sait ce que vaut ce qu'il possède.

Le silence revint. L'entretien prenait des allures de partie de poker.

— Je ne suis pas certain que tu réalises dans quelle mesure ton sort dépend de ma seule volonté.

Vilaine relance. Mais je pouvais suivre sans peine.

— Je ne suis pas certain que vous réalisiez dans quelle mesure la sécurité de votre système informatique vous protège réellement.

Illustrant mon propos, je tirai mon microterminal de ma poche et y entrai une commande. La gravité se modifia soudainement et les objets commencèrent à glisser vers la paroi bâbord. Shakarûn se leva brusquement, une main sur le pistolet chromé qui pendait à sa ceinture.

— Tu as saboté mon vaisseau ? gronda-t-il.

— Ai-je fait cela ? Quelqu'un a coupé l'alimentation du propulseur tribord, certes, mais les journaux du système indiqueront certainement qu'il s'agit d'une certaine... voyons... oh, Alicia, semble-t-il !

Il se rassit en silence. La première manche était pour moi.

— Donc, ouvris-je, prêt pour la revanche, vous aimeriez savoir quelles armes je peux réellement vous fournir contre les Salauds. Disons simplement que je serai en mesure de prendre le contrôle à distance de tout leur système informatique dès qu'ils auront installé mon invention sur leurs rafiots. Une ouverture intempestive de la soute pressurisée serait-elle le genre d'accident que vous cherchez à provoquer ? La cargaison serait dispersée au gré de la décompression et les dommages au vaisseau resteraient minimes.

— Je vois. Je vois d'autant mieux que c'est exactement ce que Six et As m'ont rapporté lorsque tu es monté à bord. Ça ne me suffit pas. Il me faut une preuve.

— Oui.

L'affront direct ne le fit même pas rougir. Il garderait maintenant son sang-froid jusqu'au moment où il déciderait de mon exécution. Par beaucoup d'aspects, il me rappelait mon patron au Syndicat — quoiqu'il fût doté d'une élégance incompatible avec le management intermédiaire. Je me demandai brièvement pourquoi j'étais en train de le défier aussi ouvertement et conclus que je n'avais aucune raison — autre que celle d'éviter la même mésaventure qui avait mis fin à ma regrettée collaboration avec les Salauds.

— Tu vas donner à Alicia tous les détails nécessaires pour comprendre et construire les instruments dont tu auras besoin. Ensuite de quoi tu travailleras avec elle, dans la plus parfaite des coopérations — et j'entends par là dans une harmonie universelle qui donnerait envie à un athée de croire en la Création Divine — pour opérer lesdits instruments. Ou bien je pourrais avoir l'idée de te renvoyer à bord de cette navette dans laquelle tu es arrivé. À trente années-lumière du système le plus proche.

La revanche était pour lui. J'allais entamer la belle lorsque celle-ci entra par la porte sous la forme d'une Alicia plus sensuelle que jamais — ce qui, il faut le dire, n'était pas très difficile — avec un très joli sourire satisfait. Son visage était fait pour sourire ; on ne pouvait que regretter que, dans son dictionnaire très particulier d'expressions faciales, elle ne relevât le coin des lèvres que pour établir sa domination sur une proie.

Comme il ne coûtait rien de perdre en beauté, je lui retournai mon plus beau sourire et regardai le sien disparaître. Elle venait de comprendre que travailler avec moi, malgré la perspective alléchante de me donner des ordres, n'allait pas sans quelques inconvénients mineurs. Une totale impossibilité pratique, pour commencer. Mais peut-être, à ce moment-là, nourrissait-elle encore quelques illusions. La chose ne pouvait pas durer.

— Très bien, attaquai-je. La première chose qu'il me faut est une fraiseuse atomique. Et un microscope, évidemment.

Alicia me regarda curieusement.

— Un appareil pour manipuler les atomes individuellement, traduisis-je, sachant pertinemment que la chose était inutile et ne ferait que l'agacer davantage. Et un autre pour avoir un œil sur ce que je fais. Ça, une feuille monoatomique de graphène et une autre d'or.

Alicia regarda curieusement Shakarûn.

— Ai-je à un certain point laissé entendre que l'opération serait triviale ? ajoutai-je, pas encore certain d'avoir suffisamment chauffé l'audience.

Je sentais le capitaine raisonner furieusement, essayant de déterminer s'il avait fait un extraordinairement mauvais investissement en me laissant monter à bord et s'il verrait un jour l'intérieur des cales d'un rafiot du Syndicat. Mais, si ma petite démonstration avec le propulseur tribord avait été correctement calculée, il devait à présent être au moins convaincu que j'étais capable d'interférer avec la sécurité des vaisseaux spatiaux — de manière générale. Je n'allais certainement pas le décevoir en lui laissant penser que les failles de son système de navigation étaient les mêmes que celles des coucous russes sur lesquels j'avais démontré la puissance de ma petite invention.

— Où trouverons-nous cela ? demanda doucement le pirate — à Alicia, ce qui signifiait que je l'avais convaincu.

— Dans un laboratoire de physique nucléaire. Ces engins sont fabriqués à la demande — par le Syndicat. Nous pourrions les... les acheter, je suppose, suggéra-t-elle, visiblement mal à l'aise devant une telle possibilité. Mais ça prendrait du temps.

— Ou nous pourrions attendre que le tout nouveau modèle de sculpteuse atomique soit terminé, glissai-je. Nouveau modèle commandé par le laboratoire d'Urania il y a deux ans, en phase de test d'après les nouvelles d'hier, d'une précision inégalée... et qui doit être livré dans trois semaines au plus tard sous peine de lourdes pénalités financières.

Deux paires d'yeux se fixèrent sur moi.

— Évidemment, poursuivis-je, à présent bien lancé dans mon discours et commençant à comprendre comment parler à ces pirates, il faudrait que le cargo qui transportera la machine de Ganymède à Uranus soit victime d'un... regrettable accident, puisqu'une attaque frontale ne paraît pas souhaitable.

Les paires d'yeux se plissèrent, attendant ma solution au problème que je venais de poser. Évidemment, ils ne pouvaient pas deviner que je n'avais pas la moindre idée de la manière de causer un accident crédible sur un cargo lourdement équipé et, sans aucun doute, naviguant sous bonne escorte. Mais je ne m'inquiétais pas outre mesure : ma pause dramatique pouvait se prolonger une dizaine de secondes, ce qui me laissait tout le temps nécessaire pour trouver quelque chose.

Ouverture en vol des portes de soute. Possible, mais uniquement en jouant sur les champs magnétiques qui retenaient les énormes portes. Météorites. Absurde. Les roquettes pulvérisaient les grosses, les lasers les petites. Et les vraiment petites ? De la poussière ferromagnétique pourrait se coller à la coque — mais elle n'y ferait rien du tout, sauf... Perturbation des communications. Augmenter la puissance des communications radio ? Mettre les radars hors service ? Mais c'étaient des émissions lumineuses qui détectaient les micrométéorites. Nuage de plasma ? Une coque fortement aimantée passant à travers un nuage de particules chargées électriquement s'allumerait comme un sapin de Noël. Plus de lasers de proximité. Une pluie de micrométéorites dans ces circonstances pourrait totalement détruire le cargo. Et sa précieuse cargaison avec... Donc il faudrait tirer les météorites au canon et contrôler très précisément leur trajectoire. Mais un engin télécommandé pourrait suffire. Personne n'irait chercher plus loin que ces étranges phénomènes cosmiques...

Huit secondes seulement. Une performance. J'annonçai ainsi l'opération :

— Il va nous falloir deux tonnes de limaille de fer, un gros aimant, dix mètres cubes d'hélium liquide, une torpille, une météorite de taille moyenne et un canon à plasma.

Shakarûn ne montra aucune expression, mais Alicia eut du mal à dissimuler sa soudaine satisfaction. Les pirates, après tout, étaient des grands enfants. Il leur suffisait d'un jouet...

Et la partie de Lego qui s'annonçait était de celles auxquelles tout l'équipage tenait à participer.

Où le narrateur, presque à son insu, fait l'objet d'une vive controverse et se trouve acquitté par contumace

— Est-ce que vous vous moquez de moi ?

La question, émise avec tous les aspects de la plus parfaite sincérité et aucune apparence d'ironie, ne parut guère satisfaire les demandeuses, qui espéraient quelque chose de plus assimilable à une réponse. Mais le ton acide du capitaine était davantage une incitation à la prudence qu'à de nouvelles récriminations. Sheran afficha son ennui et son hostilité à la fois en croisant les bras et en employant ses mains libres à exécuter le geste universellement connu sous le nom de  :facepalm:. Alicia se pencha imperceptiblement en avant dans l'attitude du serpent prêt à mordre. Tout son corps se tendit ; sous le cuir noir, sa poitrine se souleva et ses épaules s'abaissèrent.

— Est-ce que j'ai l'air de rigoler ? siffla-t-elle entre ses dents.

— Tu as l'air d'une bouilloire sur le point d'exploser, mais ce n'est pas ma question. Le type a-t-il fait son boulot, oui ou non ?

— Il l'a fait, dut-elle convenir, de tout évidence à son plus grand regret.

— Et a-t-il à un seul moment mis en danger la vie de l'équipage, le vaisseau ou nos opérations courantes ?

— Non ! Est-ce que...

— Et a-t-il démontré sa capacité et sa motivation a faire partie de cet équipage ? coupa le capitaine sans même élever la voix.

— Je n'en sais rien ! cria Alicia avec un mélange de fureur et de détresse.

Shakarûn manifesta sou intérêt par un haussement de sourcil asymétrique — exercice que la jeune femme, à sa grande consternation, n'avait jamais totalement maîtrisé.

— Il est très fort, admit-elle. Meilleur que moi dans certains domaines. Mais il est tellement...

— C'est une petite fouine arrogante, résuma Sheran. Qu'il donne des ordres à Elric, pourquoi pas, mais à Alicia ? À moi ? Il se pavane dans ce vaisseau comme s'il en était le maître. Et je ne sais pas ce qu'il est capable de faire avec le système informatique. Tu sais comment il a réussi à arrêter un propulseur sans avoir le moindre accès effectif ?

— Non ?

— Eh bien moi non plus, et il n'a pas la moindre intention de me le dire !

— En somme, récapitula le capitaine, tu estimes sa présence à bord comme un danger.

— Oui !

— Et son attitude n'est pas compatible avec le service à bord de mon bâtiment.

— Non ! s'écrièrent les deux demandeuses à l'unisson.

— Je vois. Dans ce cas, des mesures drastiques doivent être prises. Il travaille en ce moment sur la machine du Syndicat ?

— Il ne fait que ça, jour et nuit, répondit Sheran.

— Dans ce cas, soyez au mess dans dix minutes. Allez chercher tout le monde, et surtout ne lui donnez l'éveil sous aucun prétexte. Si Elric travaille avec lui, trouvez une excuse pour le réquisitionner. Je déteste avoir recours à ce genre de procédure, mais vous ne me laissez pas le choix.

— Un procès ?

Alicia semblait à la fois excitée et vaguement gênée par cette décision imprévue.

— Ce n'est pas ce que vous vouliez ? Si vous accusez un homme d'être un danger pour le navire, il doit être jugé par contumace et en secret, ou enchaîné. Et aucun homme ne sera enchaîné sous mon commandement. Dix minutes.

Vous devez vous demander comment un tel épisode a pu finir dans ce récit — comment, en somme, j'ai jamais pu en avoir connaissance. Et peut-être aussi comment la sympathie naturelle que j'inspire a pu me faillir au point de donner lieu à une telle action. Je serai le premier à reconnaître l'injustice du procédé, bien entendu, mais je n'irai pas jusqu'à prétendre ne pas l'avoir mérité.

Après le succès retentissant de l'opération entièrement organisée par votre serviteur, lorsque nous eûmes enfin récupéré la machinerie nécessaire pour poursuivre — ou plutôt pour commencer — mes travaux, je commençai à noter une certaine animosité à mon égard. Alicia paraissait me haïr plus que jamais, craignant visiblement de voir son travail menacé par un simple immigrant à peine arrivé à bord — les opérations de ce type, compris-je plus tard, étaient habituellement conduites sous son autorité, dont elle devait être si jalouse que j'avais toujours échoué à en détecter la moindre trace. Et Sheran, n'appréciant guère la manière dont je faisait appel à ses services et à ceux d'Elric, qui devait être son assistant, m'en voulait d'abuser des privilèges que m'avait délégués le capitaine.

Après deux accidents de conduite de vapeur, une terre mal branchée — entendez : connectée malencontreusement à la phase — et une fuite de radiations qui m'aurait sans doute été fatale si je n'avais pas programmé mon terminal pour faire croire à l'ordinateur de bord que je me trouvais dans la salle du réacteur alors que je dégustais un délicieux repas chaud au mess, je décidai qu'il était temps de prendre des mesures. Je ne pouvais pas éternellement échapper aux complots me visant par la seule intervention de la chance — quelles que fussent les mesures que j'avais prises pour m'assurer de l'avoir de mon côté.

La première fut de transmettre le message que, dorénavant, une stricte politique de riposte graduée était instaurée. Ce fut Sheran qui le découvrit et se chargea de l'interpréter lorsque, ayant achevé de nettoyer — par le vide, s'entend — la salle du réacteur contaminée, elle posa la main sur la commande de déverrouillage, sans doute désireuse de contempler mon cadavre afin de déterminer lequel, des radiations ou de la décompression, avait eu le discutable privilège de m'emporter. Cent dollars d'Alicia, qui me voyait à juste titre comme une solide raclure, parlaient pour le vide spatial ; Sheran, quant à elle, confiante en les capacités mortifères de son réacteur, avait parié sur l'irradiation. Cent mille Volts à travers la paume lui indiquèrent que j'avais horreur de ne pas participer aux paris me concernant.

Les enfantillages cessèrent dès réception de mon avertissement. Pas celui-ci — il ne s'agissait là que d'une annonce. Mais le fait que les tourelles automatiques des coursives se missent soudain à se déployer sans aucune raison lorsque l'une de mes deux très chères amies passait à proximité, sans témoin, pour la suivre d'un air hostile — le type d'air que peut avoir un canon de deux pouces lorsqu'on le regarde droit dans l'œil — déclencha une nouvelle ère de paix.

Je ne fus pas dupe une seule seconde. La combinaison métallisée que je portais en permanence me mettait à l'abri des électrocutions et de la plupart des brûlures, mais ce n'était qu'une question de temps. Les choses allaient mal ; je devais prendre des mesures drastiques.

Comme installer des caméras miniaturisées et des micros dans le mess.

— Qu'est-ce que c'est que ce merdier ? entama Fléchettes avant même que le capitaine eût pris la parole.

Je ne le connaissais pas très bien ; il passait le plus clair de son temps avec ses torpilles et ses canons, à l'autre bout du vaisseau, et paraissait apprécier la compagnie exclusive d'Isadora. Je n'aurais pas parié un kopeck sur lui pour me défendre si peu que ce fût.

— On joue au jeu des pirates, c'est ça ? poursuivit-il, visiblement furieux. Shake, je ne pensais pas que ça puisse arriver sur un de tes rafiots. Le niveau a baissé ! Je parie que personne ne défend le nouveau, pas vrai ? Un putain de tribunal secret ! Vous êtes de belles crevures.

— Assieds-toi, ordonna tranquillement le capitaine. Les choses doivent être faites comme ça, c'est le seul moyen.

— Pas ici. Pas avec vous. Si vous continuez avec ces conneries, je débarque à la prochaine escale !

— Sheran et Alicia estiment que la sécurité du vaisseau est compromise. Dis-moi comment je devrais régler ça. Ce type est plus fuyant qu'un anguille, je pourrais lui dire n'importe quoi sans le faire bouger d'un pouce. Il faut décider s'il restera à bord ou non, et ce n'est pas sa décision, c'est aussi simple que ça.

— C'est ta décision, Shake ! Tu es le putain de capitaine de cette saloperie de rafiot.

Ma décision est de le garder à bord. Mais qu'il soit dangereux ou pas, si nous ne faisons rien, cet équipage éclatera. Un seul nouveau membre est devenu le foyer de plus de tensions que nous n'en avons jamais eu à bord. Je veux régler cette crise ici et maintenant, et j'ai besoin de vous tous. Donc, si l'un d'entre vous veut quitter cette pièce, qu'il prenne immédiatement le chemin du hangar aux navettes, parce qu'il ne remettra jamais plus un pied à mon bord. Avons-nous réglé cette question-là ?

Le silence lourd qui lui répondit indiquait que le foyer que j'avais l'extrême honneur de constituer flambait de plus en plus joyeusement et menaçait de causer un beau feu de cheminée. Shakarûn se leva pour exposer les griefs de l'accusation.

— Comme vous le savez, nous avons recruté...

Il s'interrompit. Tout le monde s'entre-regarda. Et réalisa que personne ne connaissait mon nom.

— Nous l'appellerons donc John Doe. Nous l'avons recruté parce qu'il prétendait pouvoir prendre la main sur le système informatique des cargos du Syndicat. La chose étant complexe, il nous a fallu obtenir les matériaux et les machines nécessaires pour lui permettre de construire les instruments dont il aurait besoin. Il a travaillé avec Alicia et, dans une moindre mesure, Sheran et Elric, afin de préparer non seulement cette arme, mais également pour planifier et mener à bien l'attaque d'un cargo particulier transportant une machine d'usinage de précision. Malgré la réussite de cette attaque, qui n'a pas éveillé les soupçons du Syndicat, Alicia et Sheran craignent qu'il ne constitue un danger pour la sécurité de ce navire et recommandent de nous séparer de lui au plus vite, sans attendre la finalisation de son arme. Alicia va jusqu'à mettre en doute l'existence de cette arme. Ses excès d'autorité dans la salle des machines ont apparemment mis en danger la collaboration que nous tentions d'établir.

— En bref, résuma Arsenic, vous êtes tombées sur un type qui ne vous obéissait pas au doigt et à l'œil, que vous n'arriviez pas à impressionner, et maintenant vous voulez le jeter ? Shake, tu nous a tous fait venir ici comme une bande de conspirateurs pour ça ?

— Nous savons qu'il est capable de pénétrer les systèmes de sécurité du bord, de couper des alarmes, des circuits de puissance, de déclencher des...

— Il vous a bizutées ? s'exclama Sixfeetunder, les yeux comme des soucoupes, à la limite de l'hilarité.

— J'ai aussi entendu dire que vous aviez essayé de le tuer deux ou trois fois, s'immisça Isadora. Encore qu'il n'avait pas l'air de prendre ça très au sérieux. Est-ce que vous êtes bien certaines d'avoir joué la collaboration, vous aussi ?

Nous aussi ? s'écria Alicia. Parce que tu crois qu'il a essayé de collaborer, lui ? Il ne m'a rien donné du tout, à part des montagnes de formules sans le moindre contexte, des ricanements et des ordres ! Il n'a jamais eu la moindre intention de nous donner quoique ce soit, il ne fait que se servir de nous pour son fantasme de vengeance contre le Syndicat !

Touché ! Malgré sa détestation profonde, Alicia me comprenait comme une âme sœur. Il allait falloir lui déclarer ma flamme dans les plus brefs délais. Mais sûrement pas lui expliquer comment fonctionnait mon invention, ni à quoi elle servait. L'amour a beau être aveugle, je ne l'étais pas du tout à ce moment. Et c'était avant tout grâce à ces petites merveilles de caméras. L'image était si nette que je pouvais non seulement voir la veine qui saillait sur le cou de mon nouvel amour, mais calculer son rythme cardiaque et sa tension artérielle. Lesquels étaient beaucoup trop élevés pour quelqu'un d'aussi jeune et vivant une vie saine dans un environnement calme.

— Si ses projets de vengeance impliquent de détourner les vaisseaux du Syndicat pour les piller, où est le problème ? répliqua Belladone. Je n'aime pas le bonhomme plus que vous, mais je ne crois pas qu'il soit inutile. Il sait se débrouiller avec un radar en pleine bataille et ça me plaît.

— C'est pour ça que nous sommes là, pas vrai ? gronda Sheran à l'adresse du capitaine, les écailles lui tombant finalement des yeux. Tu voulais que tout le monde nous explique que c'est juste de la paranoïa et qu'on se sent menacées parce qu'un petit malin joue au con avec mes machines ? Bref, tu ne me crois pas, et Alicia non plus ?

Shakarûn sourit sans la moindre apparence de joie.

— Ce que je crois, c'est que vous avez toutes les deux essayé d'établir une hiérarchie où vous seriez en haut et lui en bas, et qu'il n'en a pas voulu.

— Il n'en a pas voulu avec toi non plus ! Il refuse les ordres de son capitaine !

— Comme tu l'aurais fait à sa place. Son intérêt est en contradiction avec celui de l'équipage. Il ne nous doit rien, n'a aucune raison de nous faire confiance. À chaque fois qu'il lâche quelque chose, cela fait une raison de moins pour nous de le garder en vie. Et au lieu d'essayer de gagner sa confiance, vous avez persisté à essayer d'en faire un subordonné. Elric, je ne t'ai pas entendu jusque-là. Parle.

Le jeune homme, d'après son expression, avait gardé le silence pour une bonne raison : éviter de se trouver pris en porte-à-faux entre son capitaine et ses équipières. Cette option venait de lui être ôtée et, après tous les trucs d'électronique de puissance que je lui avais appris au cours de la semaine écoulée, je le voyais mal m'accuser directement.

— Je pense que cette affaire est une connerie pure et simple, se décida-t-il enfin à dire.

Très beau jugement. Voilà qui concluait le dossier de la défense. Restait la sentence du juge.

— Vous êtes visiblement incapables de finir ce travail correctement, alors je vais faire ce qu'il faut pour que le navire ne tombe pas en pièces pendant que vous vous disputez pour savoir qui commande qui. Alicia, Sheran, vous êtes hors du coup. Fléchettes, Elric, vous allez aider... John Doe... à déplacer ses machines dans la baie de chargement n°2. Vous l'assisterez dans ses travaux si nécessaire.

Fléchettes s'étrangla.

— La baie... des torpilles ?

— La baie qui contient les trois dernières torpilles qui ne sont pas dans la baie n°1, oui.

— La baie n°1 qui est pleine, c'est à cette baie n°1 que tu fais référence ?

— Celle-là même, oui.

— Et... les torpilles ? Les trois torpilles thermonucléaires de vingt mètres de long sur deux mètres de diamètre, où est-ce qu'on va les mettre ?

Moi, je le savais. Oh, que je le savais !

— Mais, dans la salle du réacteur, répondit Shakarûn.

À moi la vengeance, à moi la rétribution, a dit le Seigneur. Comme je le comprends !

Où le narrateur commet une erreur de jugement, en subit les conséquences et retourne la situation en sa faveur

Trois jours après que la commission eut statué en ma faveur et que mon atelier eut été transféré dans la salle des torpilles, je fut honoré par la visite plus que suspecte d'une Sheran presque souriante. Étant donné que j'avais été le prétexte d'une humiliation publique devant tout l'équipage et que je lui avais dérobé son assistant, je pris garde de vérifier que ma combinaison isolante était reliée à la terre et que le verrouillage du sas menant aux tubes lance-torpilles était actif. La paranoïa, dans cette époque troublée, était une habitude dont il était difficile de se défaire. Fort heureusement, il s'agissait également d'une excellente habitude.

— Je passais juste vérifier que tout allait bien, mentit-elle — du moins en fus-je aussitôt convaincu.

— Désolé, tout va effectivement bien. Y a-t-il autre chose pour ton service ?

— Je voudrais t'emprunter Elric une heure ou deux, il y a une grosse intervention à faire sur le réacteur.

— Pas de problème.

J'étais parfaitement sincère : depuis que j'avais placé un micro dans la boucle de ceinture de sa combinaison, j'étais heureux de le “prêter” à qui en voulait. Non que ses services ne me fussent pas indispensables : le travail à accomplir était si monstrueux que toute aide était la bienvenue, y compris les rares heures de leur temps que m'accordaient parfois Fléchettes et Isadora. Suivant les instructions explicites du capitaine, on tentait de gagner ma confiance — et loin de moi l'idée de m'en plaindre ! Mais plus loin encore celle de l'accorder effectivement.

Mes travaux avançaient plus vite que je ne l'avais escompté. La machine du Syndicat était une merveille. Les usinages qui auparavant me prenaient des jours n'étaient plus qu'une question de minutes. L'or et le graphène étaient également d'une qualité exceptionnelle, bien meilleurs que ce avec quoi je travaillais du temps de mes recherches. Ce fut sans doute mon enthousiasme prématuré qui me fit perdre les pédales.

Tandis que j'écoutais avec satisfaction Elric raconter à Sheran qu'il n'avait toujours pas la moindre idée de ce sur quoi je le faisais travailler, il me vint à l'esprit que je pouvais sans doute organiser une petite démonstration des capacités de mon invention et de la manière dont l'utiliserait le Syndicat. Ce serait l'occasion de faire croire à Shakarûn que sa nouvelle politique avait fini par me donner confiance — et de lui prouver que je tenais effectivement quelque chose de valeur.

Deux heures plus tard, Alicia, Sheran, Elric, Belladone et Shakarûn faisaient cercle autour de moi tandis que j'installais deux modules gros comme le poing, identiques d'apparence, d'un côté et de l'autre de mon banc de test.

— Ces deux machins, commençai-je, sont des modules cryptographiques. L'idée est d'utiliser les capacités de calcul quantique des ions d'or pris dans une maille de graphène pour encoder et chiffrer des messages en dessous de la limite d'entropie. C'est-à-dire, en termes cryptographiques, que chaque message est haché par une fonction mathématiquement irréversible — qui possède une infinité de fonctions inverses — qui embarque une empreinte du message et une signature garantissant son authenticité. Le message ainsi compressé et chiffré ne peut être recouvré par aucune technique mathématique conventionnelle, même si la clef de chiffrement est connue.

— Ce que l'on appelle vulgairement une signature, donc, lança Alicia en profitant de la pause que je lui avais sciemment laissée dans ce but.

— Un algorithme particulier de signature, effectivement, mais qui ne repose pas sur la notion de hash et de clef publique, et qui comprend une étape de chiffrement préliminaire.

— Qui ne sert donc à rien.

— Qui ne servirait à rien sans un module récepteur derrière capable de reconstituer le message et de déterminer son authenticité — grâce aux mêmes propriétés quantiques des ions d'or. Le tout fonctionne grâce à un vecteur d'initialisation contenu dans le message final qui initialise la grille d'atomes du récepteur dans la bonne configuration — celle de l'émetteur au moment où il a commencé l'encodage. La compression du message devient alors réversible — si la clef de chiffrement est connue, bien entendu. Le récepteur devient instable et passe par un certain nombre de cycles avant de revenir à son état de base ; durant ces cycles, il émet des vecteurs de spin qui forment le message original. Il y a évidemment une limite à ce système : plus le message est long, plus sa forme compressée s'allonge — quoique proportionnellement au logarithme de la taille du message, donc très lentement — et plus les temps de chiffrement et de déchiffrement s'allongent — exponentiellement, cette fois.

— Ça ressemble à de la science-fiction, commenta Belladone.

Je passai le quart d'heure suivant à démontrer que tel n'était pas le cas. Alicia fut particulièrement traumatisée en voyant tous les algorithmes de compression qu'elle connaissait échouer à produire un message aussi petit que le mien ; le moment où elle dut admettre qu'il n'y avait pas de truc et que la limite d'entropie que tous les informaticiens et les physiciens avaient admise des siècles plus tôt pouvait être battue fut particulièrement savoureux. Je crus un instant qu'elle allait fondre en larmes.

— Et que penses-tu que le Syndicat fera de cela ? interrogea Shakarûn, qui avait déjà compris avant la démonstration que je tenais quelque chose de réellement révolutionnaire — et pas seulement une petite bombe à faire sauter pour impressionner l'opinion.

— Je sais qu'ils voulaient perfectionner les vols inhabités. Payer des pilotes revenait trop cher et les vaisseaux sont faciles à télécommander, du moins sur des vols locaux où la vitesse de la lumière ne pose pas de problème. Leur seul problème était la sécurité des communications entre la base et les cargos en vol. Si quelqu'un trouvait le moyen de casser leur code...

— Donc tu penses qu'il se serviront de ces modules pour piloter à distance des vaisseaux sans équipage ?

— Ils laisseront sans doute un équipage à bord dans les premiers temps, par mesure de sécurité, au cas où quelque chose d'imprévu tournerait mal. Mais c'est ce qu'ils feront, sans aucun doute possible.

— Très impressionnant. Et en quoi tout cela a-t-il le moindre intérêt pour moi ? Je suppose qu'ils équiperont leurs drones d'assez de caméras pour détecter une attaque aussi bien qu'ils le feraient aujourd'hui. Mon problème est toujours le même. À moins que tu ne sois capable de me trouver la clef cryptographique qu'ils utiliseront pour communiquer avec leurs bâtiments...

Je sentis soudain que j'avais fait un pas de trop — trop tôt, trop vite, trop loin. Je n'avais que deux choix : lui donner tout, ou me rétracter et subir les doutes de tout le monde. Sachant ce qui m'attendait dans le premier cas pour l'avoir déjà vécu, j'optai pour le moindre mal.

— Ce système a un certain nombre de failles de conception, répondis-je en essayant de ne pas trop serrer les dents — je déteste dire du mal de mon travail. Certaines attaques cryptographiques bien précises, effectuées dans les bonnes conditions, peuvent le compromettre.

— Mais tu n'as rien pour l'instant, conclut le capitaine. Je vois.

— Moi, j'ai quelque chose, intervint Belladone. Ces messages que tu nous démontrais tout à l'heure... ce n'est pas la première fois que je les capte. Il y a déjà des vaisseaux équipés en circulation.

Si vite ? J'avais du mal à y croire. Je savais le Syndicat prêt à bondir sur n'importe quelle occasion, mais je ne les pensais pas capables d'une telle réactivité. Essayait-elle de me tromper ? Je guettai des clins d'œil suspects, des échanges de regards, n'importe quoi — sans succès. En fait d'échange, tous les regards étaient braqués sur moi.

— Il me faut un délai, déclara finalement Shakarûn. Quand serons-nous prêts ?

Je n'avais personne d'autre à blâmer : je m'étais mis tout seul dans ce piège.

— Ça prendra du temps. Il faudra construire un module nettement plus conséquent que ces deux-là pour décrypter le trafic. Ensuite, il faudra déterminer le vecteur d'initialisation correct, sans quoi nos propres messages apparaîtront comme contrefaits et ils sauront que nous sommes là.

— Du temps, répéta le capitaine. Je me doute que ça prendra du temps ! Mais s'agit-il d'une semaine, d'un mois ou d'un an ?

— Je ne voudrais pas faire de promesses hâtives...

Oups. Très, très mal joué. J'accumulais les cartons jaunes si vite que je risquais de finir la saison à repasser les maillots au vestiaire. Comme faisant écho à mes pensées, cinq paires d'yeux s'étrécirent en me fixant sans la moindre apparence de sympathie. Il y avait en particulier dans ceux d'Alicia quelque chose de triomphant qui me dérangeait profondément. Sheran n'était qu'hostilité sans retenue, Elric consternation, Belladone leva le regard avec un air de commisération... et Shakarûn, sans un mot, s'abîma dans mes prunelles au point que je sentis un fourmillement derrière le crâne.

— Pas de... promesses hâtives, répéta-t-il sur un ton dubitatif où je reconnaissais l'exercice de style de l'avocat sur le point de frapper.

— Les promesses hâtives ne sont pas du tout ton genre, opina la géante avec une grimace de sombre satisfaction.

— Il n'y a aucune urgence ! leur rappelai-je. Plus le temps s'écoulera, plus nombreux seront les vaisseaux équipés de cette technologie !

Carton rouge ! Je me mordis les lèvres à peine ma phrase terminée. Cette fois, j'étais bon pour aller récurer la coque en plein vol, et sans scaphandre.

— Et plus il y a de chances qu'ils découvrent et corrigent les vulnérabilités de ta conception, m'acheva Alicia.

Ce qui conclut l'appel de la partie civile...

— Je crois que nous approchons une impasse, déclara le capitaine en se levant.

Sa silhouette parut soudain beaucoup plus grande qu'à l'ordinaire, et je me demandai brusquement quel âge il pouvait avoir, quelle taille il mesurait réellement et dans quelle mesure son apparence était autre chose qu'un déguisement qu'il modifiait avec une expertise incroyable.

— Je vais te donner deux possibilités. Soit tu réussis à me présenter dans une semaine un moyen d'exploiter les faiblesses de cet engin, soit tu débarques à Tau Ceti avec une accusation de piraterie à l'encontre du Syndicat et un billet gratuit pour les mines de platine. Dans les deux cas, dans une semaine, je veux qu'Alicia soit capable de reproduire intégralement ton appareil, en connaisse tous les rouages, toutes les formules, et soit entièrement formée sur son fonctionnement. Et si j'entends une seule fois encore que votre collaboration n'est pas absolument parfaite, un exemple d'harmonie universelle — et j'en veux un plus convaincant que celui que tu m'as donné jusque-là —, je vous débarque tous les deux sur une lune déserte et j'attends qu'il n'en reste plus qu'un. Mes paroles sont-elles aussi claires que du cristal ?

Et voilà que les belles illusions de confiance et de coopération étaient réduites à néant. Que de rêves brisés ! La sentence était rude, et je vis immédiatement qu'Alicia n'en goûtait la saveur qu'à moitié. Shakarûn, dans toute son habituelle délicatesse psychologique, venait de nous offrir sept jours et sept nuits de travail dans des conditions extrêmement rapprochées.

D'où me vint la réflexion que la chose ne serait peut-être pas si désagréable ?

Je regardai ma meilleure ennemie à la dérobée. Soudain, je pris conscience que, derrière son allure maigrichonne et vaguement maladive, se cachait un corps souple, musclé et, à tout prendre, certainement pas dénué d'attraits. Son visage mince avait un certain charme, lui aussi, avec ses yeux d'un vert émeraude presque noir. Je détournai brusquement le regard en réalisant que je la fixais ainsi, “à la dérobée”, depuis vingt bonnes secondes, et que le capitaine souriait très légèrement en me regardant. Mais combien de coups d'avance pouvait-il vraiment avoir ?

Je n'irai pourtant pas jusqu'à prétendre que mon charme eût le moindre effet sur elle. Le premier jour fut particulièrement éprouvant. Je fis réellement, réellement de mon mieux pour l'amener à comprendre les principes fondamentaux sur lesquels s'appuyait mon invention. Je vous prie de croire que je ne mens pas. Le combat à mort sur fond de désolation lunaire ne fait pas partie de mes fantasmes. Mais mes plans étaient définitivement compromis.

Il se passa néanmoins quelque chose entre le deuxième et le troisième jour. Sans vouloir donner dans le romantisme à l'eau de rose, quand deux personnes partagent deux nuits blanches autour de la même cafetière, de la même table, des mêmes plans, du même tableau, quelque chose se forme entre eux. D'abord, elle finit par devoir admettre, à son corps défendant, que je n'étais pas un escroc. Petit à petit, elle en vint certainement à reconnaître — en toute modestie comme toujours — que j'étais un génie. Le talent, la capacité à le reconnaître — nous sommes déjà passés par là.

Le sommeil nous prit à l'aube du quatrième jour. Ce fut Sheran qui nous en tira pour ramener son Alicia en salle des machines — alors que j'avais encore besoin de mon Alicia dans la baie de chargement. Nous nous affrontâmes du regard, mais elle mesurait deux fois ma taille et paraissait d'humeur à ne pas recourir aux subtilités de l'arc plasma “accidentel” pour m'écarter de son chemin. Après tout, j'avais usé et abusé du temps précieux de son amie ; je n'insistai pas et remis la cafetière à bouillir. Le café ne révèle sa saveur et, surtout, sa texture véritables que lorsqu'il a bouilli plusieurs fois au cours d'une bonne centaine d'heures.

Lorsqu'elle me revint, épuisée, au bout d'une demi-journée de labeur ininterrompu sur le réacteur et, le désespoir peint avec un réalisme saisissant sur ses traits délicats, se tourna vers la sculpteuse atomique, je jugeai qu'il était temps de franchir le pas.

— Tu devrais faire une pause, suggérai-je presque timidement.

— Il y a beaucoup trop de boulot pour ça, répliqua-t-elle beaucoup trop faiblement pour être convaincante.

— Justement. Tu seras plus efficace avec les idées claires. Le café et les amphétamines ne sont pas tout !

Elle mena un bref combat perdu d'avance et reconnut sa défaite avant que les pertes ne fussent trop importantes.

— OK. Qu'est-ce que tu proposes ?

Deux minutes plus tard, nous étions enfermés dans le placard qui me tenait lieu de chambre.

Je ne dirai qu'une seule chose : l'apesanteur est une expérience à vivre.

Où le narrateur aide à faire face à des complications imprévues et se trouve amené à le regretter

Je n'avais pas la moindre idée de ce qui m'arrivait. Et, à voir l'expression d'Alicia, elle non plus. Pas davantage que Sheran, qui nous regarda passer la tête hors du placard avec un air passablement déconcerté — il est vrai que la pause avait duré davantage que nous ne l'avions anticipé et que sa présence dans la salle des groupes auxiliaires était, à un certain point, inévitable.

— Cinq minutes de plus et je vous sortais de là manu militari, gronda-t-elle.

— Tu exagères ! s'insurgea Alicia. Ça ne fait que deux heures que...

— Regarde l'heure de plus près. Tu notes le petit signe “A.M.” ? Oui ? Celui qui disait “P.M.” quand vous êtes rentrés là-dedans ? Ça fait quatorze heures que vous perdez votre temps ! Shake est furieux !

— Je vais lui en donner une bonne raison, moi, d'être furieux...

Mon Alicia paraissait sur le point de s'échauffer. Je n'avais pas l'intention de ne pas la laisser faire. Je m'écartai et regardai les événements se dérouler sans intervenir. À vrai dire, j'étais terrifié. Un instant plus tôt, j'avais failli ouvrir mon cœur à ma pirate de compagne, dans un excès de confiance, de somnolence et d'endorphines. Or le cœur, dans ces affaires, précède de peu la cervelle, et la mienne contenait encore deux ou trois choses qui n'étaient pas faites pour les leurs.

— Tu n'en auras pas besoin, répliquait la géante tandis que je réfléchissais ainsi. Votre petit jeu a eu des conséquences imprévues. Le Syndicat a soudain eu ses doutes et a décidé de mener l'enquête.

Un instant de flou s'ensuivit, Alicia cherchant visiblement, tout comme moi, à déterminer en quoi la manière dont nous avions perturbé le continuum espace-temps sur six mètres cubes par 50 000 secondes avait pu conduire à des représailles militaires.

— L'attaque de la semaine dernière ! finit-elle par expliquer en voyant notre consternation, qui n'était de toute évidence rien en comparaison de la sienne. Ces imbéciles ont fini par s'apercevoir que quelque chose allait de travers et ils ratissent l'espace comme des jardiniers anglais.

— Et alors ?

Je ne comprenais pas mieux qu'Alicia ce qui lui posait problème. Puis la lumière se fit.

— Et alors, gronda Sheran, confirmant ainsi mes soupçons, vous avez laissé six tonnes et demie de merde derrière vous !

Il ne nous était pas venu à l'idée à l'époque qu'en cas de succès de l'opération, quelqu'un se donnerait le mal de mener une véritable enquête. Après tout, le cargo avait été endommagé, mais l'équipage s'en était tiré sans davantage que quelques écorchures. Il devait y avoir encore quelque part une carcasse de torpille à la dérive, notre canon à météorites improvisé, et peut-être encore un peu de stock de limaille de fer — mais le matériel était inutilisable, et quelles étaient les chances ?

Quelles étaient les chances qu'une flottille de vaisseaux quadrillant le secteur à l'aide de détecteurs si sensibles qu'ils pouvaient relever le champ magnétique d'un vaisseau dégaussé, tous circuits éteints, à cinq cents kilomètres, parvienne à découvrir quelques tonnes de ferraille qui venaient de passer deux jours collées à un aimant à haute puissance ?

J'avais déjà deviné l'étape suivante.

— Vous devriez retourner là-bas, retrouver les saloperies que vous avez laissé traîner et revenir avant que les Salopards n'aient fini de vérifier que la soi-disant tempête ionique qu'ils ont essuyée était bidon !

Alicia achevait encore de revenir à elle. La fureur de Sheran attendait d'ordinaire un peu plus longtemps avant de donner toute sa mesure, et elle avait pris l'habitude, due à une longue amitié, d'en être la plupart du temps exemptée. Je suppose que j'étais à blâmer — mais je commençais à en avoir l'habitude.

— Qu'est-ce qui te met dans un état pareil ? rétorqua ma nouvelle compagne avec un peu plus d'assurance et une légère montée d'agressivité. D'accord, on a merdé, j'ai merdé, si tu y tiens, et on va prendre une navette pour régler le problème. Alors explique-moi.

— Vous devriez. Comme dans “vous devriez aller ramasser vos merdes, mais nos putain de navettes sont trop petites, alors il va falloir y aller avec le Silure, qui est dix fois plus repérable”.

J'avoue que je n'avais pas vu venir celui-là.

— Nous sommes déjà en route, poursuivit Sheran. Toi, le savant, il va falloir que tu nous dises où chercher et quel genre de sensibilité nous devons attendre de la part des capteurs du Syndicat. Si on se fait repérer, c'est game over pour toute l'opération.

Je m'empressai de lui fournir tous les détails que ma mémoire acceptait de me restituer au fur et à mesure qu'ils me revenaient — et je pouvais voir son visage se fermer en contrepoint. Lorsque j'en eus terminé, elle s'en fut sans un mot, une expression de rage impuissante sur le visage, et j'échangeai avec Alicia un regard rien moins que serein. Une minute plus tard, la gravité s'accentua, nous poussa doucement mais fermement vers la paroi tribord, et il devint évident que le Silure faisait demi-tour à grande vitesse. Sans doute nous étions-nous déjà suffisamment rapprochés de la zone de recherche pour craindre les redoutables appareils de mesure du Syndicat — infiniment supérieurs à ceux équipant les vaisseaux de police ou militaires auxquels les pirates avaient habituellement affaire.

Mais cette nouvelle situation avait également une autre implication à peine plus subtile : nous étions dans les ennuis, pour rester imprimable, jusqu'au cou, et la faute en retombait directement, avec le poids d'une enclume, sur Alicia et moi. Enfin, principalement sur elle, puisque c'était moi qui avais suggéré que si quelqu'un fouillait la région, nos traces pouvaient paraître suspectes — et elle qui m'avait ri au nez. Mais nous étions amants ; la poignarder dans le dos me dérangeait, maintenant. Non ; un vrai compagnon digne d'elle devait au contraire trouver pour elle un moyen de réparer les dégâts causés par sa légèreté — et un vrai cynique ajouterait que, dans un panier de crabes de cette ampleur, une dette de gratitude pouvait valoir son pesant d'or. En l'occurrence, six tonnes et demie.

Et la solution m'apparut, brillante dans sa simplicité : là où Sheran voulait enlever du matériel, il importait au contraire d'en ajouter. Lorsque j'exposai mon plan au capitaine, j'eus la satisfaction de voir la commissure de ses lèvres se relever imperceptiblement et ses yeux comme deux scarabées s'allumer d'une brève flamme. Il devait apprécier ma manière d'envisager les problèmes, je suppose.

Dix minutes plus tard, j'embarquais avec Alicia dans une navette remplie jusqu'à la gueule de liqueurs diverses, de pistolets à plasma, d'un vieux cœur de plutonium et d'un tas de pièces détachées provenant du propulseur d'appoint d'une frégate russe — en un mot, la cargaison du parfait contrebandier. À propulsion minimale, hors de vue des patrouilles qui passaient la région au peigne fin, il nous fallut six heures pour atteindre notre objectif et retrouver les restes de notre installation.

Ces navettes étaient d'une exiguïté terrible — non pas à la manière de la salle des machines du Silure, qui était immense et encombrée de chemins de câbles, de tuyaux et de composants électriques et mécaniques divers, mais d'une étroitesse à rendre claustrophobe un pilote de sous-marin de 1914. Malgré cette contrainte et le malaise qu'elle me causa au premier abord, Alicia ne perdit guère de temps une fois la trajectoire ajustée. J'ignore ce qui, de notre promiscuité forcée, de la perspective de passer six heures dans un cockpit de la taille d'une cabine téléphonique, des privations inhérentes à la vie dans l'espace ou simplement de mon charme irrésistible, motiva la frénésie presque désespérée qui s'empara d'elle — et ne tarda guère à se communiquer à moi — à peine quitté le ventre du Silure.

Sans rentrer dans les détails, le vol fut beaucoup plus intéressant qu'il ne le laissait prévoir.

Nous flottions côte-à-côte, à demi enlacés, passablement échevelés et en uniforme rien moins que réglementaire, même selon les standards de Shakarûn, lorsque l'astéroïde sur lequel nous avions installé notre canon apparut sur le radar. J'aidai Alicia à enfiler sa combinaison spatiale, résistant au magnétisme qui m'attirait tout contre elle, et je sentis ses mains trembler légèrement lorsqu'elle me rendit la politesse. Faisant taire nos désirs encore tout vifs, nous nous concentrâmes, bien à regret, elle sur le pilotage, moi sur la navigation.

Dix minutes plus tard, nous posions la navette sans encombre en commencions à décharger notre drôle de cargaison. La première étape consistait à agrandir l'abri du canon pour lui donner des allures d'entrepôt, ce qui fut accompli à l'aide de quelques mètres carrés de tôle et d'une centaine de rivets. Cette tâche épuisante nous prit quatre heures entières au terme desquelles la soif et l'épuisement nous forcèrent à remonter à bord.

Je ne suis pas certain que la suite soit très avantageuse pour l'un ou l'autre d'entre nous ; notre professionnalisme nous fit indéniablement défaut. Ceci parce que, tous deux échauffés par l'effort, nous entreprîmes d'ôter nos combinaisons trempées de sueur — entreprise qui commença de la manière la plus conforme à la procédure habituelle, puis s'accéléra soudain tandis que nos doigts tremblaient, que nos respirations s'affolaient, vira au chaos tandis que nous tentions fébrilement de nous glisser hors de ces gangues de caoutchouc cuivré aux harnais encore serrés, conduisit à la perte irrémédiable de celle d'Alicia, qu'elle déchira sauvagement dans sa hâte de s'en extraire... et s'acheva par une étreinte prodigieuse, phénoménale, qui sapa si brutalement nos forces que nous sombrâmes tous deux dans un sommeil de plomb.

Nous eûmes le discutable privilège d'être réveillés après un temps indéterminé par le hurlement de l'alarme longue distance. Soudain conscients de l'énormité de ce que nous avions fait, nous nous précipitâmes sur les combinaisons. Nous étions dehors deux minutes à peine après l'alerte, la baie de chargement ouverte en grand, remplissant fébrilement l'abri de toute la cargaison que nous avions amenée à cette fin. Alicia m'aida au début, puis retourna à bord pour surveiller notre nouveau voisin. La patrouille approchait rapidement, hors de portée pour l'instant... tant que nous n'allumions pas un propulseur.

La situation était grave. Nous étions coincés ! Il était improbable que cette passe permît aux vaisseaux du Syndicat de nous repérer, mais la suivante dévoilerait très certainement l'abri — conformément à nos plans. Et notre navette au passage, ce qui était très nettement plus gênant. Nous pouvions attendre qu'ils nous eussent dépassés pour filer, mais si la patrouille suivante talonnait celle-ci de trop prêt, nous étions cuits. Quant à tenter de les battre à la course, nous n'avions pas l'ombre d'une chance.

Je commençai à entrevoir une solution alternative, quoique fort pénible pour l'un d'entre nous, tandis que je reprenais la direction de la navette, la dernière caisse déchargée. Si l'un d'entre nous restait au sol, au vu et au su du Syndicat, l'autre pourrait probablement filer sans craindre une poursuite, surtout en lâchant quelques microroquettes au passage. Le Syndicat était très fier de ses méthodes d'interrogatoire et ne se donnerait pas la peine de risquer un combat qui risquait de causer des dommages matériels et de n'aboutir qu'à la destruction de la navette. Mais si les Salopards prenaient Alicia et devinaient qui elle était... Mais s'ils me prenaient, moi, ils n'auraient même pas besoin de deviner...

Non, la seule option était d'attendre. Alicia était assez habile pour leur échapper au moment opportun, j'en étais convaincu. Et le trajet de retour, à faible vitesse, serait certainement encore plus long que l'aller, ce qui m'était une assez agréable perspective. Bien que les geôles du Syndicat fussent probablement plus grandes que la cabine d'une navette...

J'en étais à ce point de mes réflexions lorsque j'atteignis ladite navette. Que je trouvai fermée, verrouillée et prête au décollage.

Et je reconnus soudain le dilemme du prisonnier auquel avait dû faire face mon amante. Un dilemme qu'elle avait simplement la certitude de ne pas pouvoir perdre... Comme le parfait idiot que j'étais, je l'appelai par radio.

— Tu n'as pas besoin de faire ça ! criai-je. On a une chance de s'en tirer en laissant passer cette patrouille !

Je n'obtins jamais de réponse, mais je remarquai soudain que quelqu'un avait, à mon insu, réglé la puissance d'émission de l'antenne de ma combinaison sur “haut gain”. Ce qui signifiait que la patrouille devait déjà être en train de converger sur moi...

Le pire fut peut-être qu'en regardant s'éloigner la navette, je ne parvins pas à haïr Alicia. Seulement à la regretter...

Où le narrateur célèbre des retrouvailles plus ou moins heureuses avec d'anciens collègues

Il y a un je-ne-sais-quoi dans la combinaison d'une gravité stable, l'odeur d'air qui n'a pas été généré à partir de résidus de gaz carbonique et d'eau, la pression d'une atmosphère normale, la sensation de vent, d'espace, l'absence de cloisons métalliques, les bruits qui n'ont pas l'air de se répercuter dans une boîte de conserve, qui rend unique la sensation d'être sur Terre — ou, en l'occurrence, de retour sur Ganymède. Il faut avoir vécu dans l'espace pour en prendre conscience ; c'est l'une des choses les plus étranges que j'aie jamais ressenties, comme une sorte de retour à la matrice originelle.

Évidemment, les menottes, l'uniforme de prisonnier en toile rugueuse et les fusils braqués à hauteur de poitrine ne participent pas des circonstances les plus agréables pour ledit retour. Mais, bien que trahi par mon amante, pris par le Syndicat et en route pour les interminables interrogatoires, je goûtais cette sensation avec un bonheur que mes geôliers devaient trouver passablement déplacé, si ce n'est suspect.

Un problème bien plus grave que mon accusation de contrebande m'occupait l'esprit. Devais-je me considérer comme trahi et donner Shakarûn en échange d'une réduction de peine, ou coller à mon histoire en espérant qu'il réussirait à me faire évader — ne fût-ce que pour rentabiliser l'opération qu'il avait commencée ? Certes, le geste d'Alicia était logique, puisque je l'avais imaginé comme une solution potentielle. Mais avait-elle encore besoin de moi ? J'avais encore deux jours pour fournir au capitaine un plan d'attaque crédible et donner à la jeune femme tous les éléments nécessaires pour le mener à bien.

J'avais gardé le secret de la manière dont mes modules cryptographiques permettaient de prendre le contrôle d'un astronef, mais rien n'indiquait qu'elle n'eût pas déjà repéré elle-même la faille de conception que j'entendais exploiter. Rien, sauf la vague impression qu'il lui manquait la compréhension instinctive, intuitive, des mécanismes sous-jacents — impression qui pouvait être attribuée à ma tendance habituelle à me sentir, à tort ou à raison, supérieur à mon entourage.

Mais je voulais croire qu'il n'en était rien, que le pirate avait besoin de moi, qu'elle avait besoin de moi — et, cette fois, c'était un attachement émotionnel, sans aucun élément de rationalité, qui parlait. Et les questions que soulevait ce lien émotionnel étaient plus torturantes encore : s'était-elle entièrement jouée de moi, avait-elle créé cet attachement de toutes pièces, ou avait-elle, comme moi, cédé à des forces supérieures ?

Bizarrement, dans toute cette incertitude qui m'avait accompagné depuis ma capture, je me surpris à me tourner vers la figure du capitaine. Shakarûn était peut-être l'unique personne en qui je pouvais alors avoir confiance — confiance non en sa loyauté ou en son sens des valeurs, mais en sa froide rationalité, en sa compréhension parfaite des émotions et des sentiments humains. Je me surprenais à placer mes espoirs dans un psychopathe.

Mais ce psychopathe avait ses intérêts propres à servir, et mes aveux complets étaient contraires à ceux-ci. Ce qui signifiait qu'il devait soit me faire taire définitivement, soit me faire un signe quelconque pour m'enjoindre à suivre le plan initial. S'il avait besoin de moi, il me ferait signe. Sinon... une mort immédiate et indolore était peut-être préférable à ce que le Syndicat me ferait pour me soutirer la moindre information sur mon réseau de contrebande — et la manière dont un de leurs vaisseaux avait été mis à sac.

Arrivé à cette conclusion, et quelque part à mi-chemin du hangar où auraient lieu ma détention et mes interrogatoires, réalisant que plus rien ne dépendait de moi, je profitai complètement de la stabilité du sol sous mes pieds, de la texture du sable, des odeurs du désert et de la ville, de la masse énorme de Jupiter suspendue immuablement au-dessus de ma tête... Puis on pénétra dans le hangar, on me fit entrer dans un cachot sans porte ni fenêtre, éclairé par une unique lampe froide et faiblarde, et on referma la porte sur moi.

Et la torture commença.

Que les choses soient bien claires : le Syndicat ne m'a jamais torturé à la manière des grands maîtres du XXe siècle — ni de ceux du XVIe. Pas de pinces chauffées au rouge, d'ongles arrachés, de cellules exposées à -40°C sans même un vêtement. Seulement les méthodes les plus classiques : la faim — mais j'avais l'habitude de manger assez peu —, la privation de sommeil — qu'ils ne rendirent pas pire que l'équipage de Shakarûn — et quelques séances de privation sensorielle que, pour leur malheur, je trouvai passablement relaxantes.

Mais le silence, l'obscurité complète et la solitude, après plusieurs jours, finirent par me faire approcher du point de rupture. Il leur fallut du temps pour trouver la bonne manière de m'atteindre, mais ils la trouvèrent. Seul avec mes pensées de plus en plus absurdes, de plus en plus circulaires, je finis par perdre toute notion de temps, d'espace ou d'identité. Mes réponses aux questions qu'ils me posaient, jusque-là parfaitement conhérentes et crédibles, se brouillèrent. On me demandait si j'avais travaillé avec quelqu'un dont le nom ne me disait rien ; parfois je répondais que non, alors qu'il s'agissait d'un des personnages que j'avais inventés, d'autres fois je répondais que oui alors qu'ils venaient de l'inventer, eux.

Je dis “eux” parce que mon interrogateur changeait tous les jours, et que chacun était un parfait salopard, mais d'une manière différente. Parfois, le salopard du jour reprenait point par point tout ce que celui de la veille lui avait fait passer ; d'autres fois, il feignait de n'avoir qu'un rapport incomplet et me forçait à combler les manques en réalité inexistants pour me pousser à l'erreur.

Au bout de la troisième semaine, mon histoire était devenue si incohérente qu'eux-mêmes devaient avoir du mal à s'y retrouver. Ils savaient que je mentais, mais pas dans quelle proportion. Si l'un d'entre eux m'avait interrogé sur mon implication avec un équipage pirate, j'aurais alors très certainement tout révélé, peut-être sans même m'en rendre compte. Mais durant les huit derniers jours, lorsqu'ils me tenaient, qu'ils avaient accès à tout ce que je savais ou presque, ils ne posèrent pas la bonne question, et je me tins, dans la mesure de mes capacités déclinantes, à mon histoire. Sans doute imaginaient-ils que je couvrais seulement un réseau de contrebande beaucoup plus vaste que celui que je décrivais ; je ne crois pas les avoir à aucun moment conduits à douter que la contrebande était le cœur du sujet.

Bien sûr, ils avaient vite compris qui j'étais et fait le lien avec la machine qui avait disparu, mais là encore, je ne crois pas qu'ils eussent douté de mon histoire selon laquelle je construisais des modules cryptographiques pour sécuriser les communications de mon réseau — et éventuellement les vendre. Je tins ma langue quant au plus important : le vice de conception fondamental — quoique deux ou trois jours de plus m'auraient sans doute amené à dire quelque chose de stupide qui m'aurait trahi d'une manière ou d'une autre.

Lorsque je rentrais dans ma cellule, dans le noir et le silence, je ne pensais plus qu'à une chose : Alicia — ses yeux au fond des miens, son corps contre le mien, son rire, ses frissons entre mes bras, sa délicatesse mêlée de force, le goût de ses lèvres, la forme de son visage ; tout en elle ne cessait de me torturer, souvenir comme fantasme. La simple pensée de son nom me faisait l'effet d'une lame qui se fichait dans ma poitrine. Tout mon être était gonflé de sanglots qui ne parvenaient pas à s'exprimer. Je me sentais devenir fou, m'enfoncer dans un délire d'où il était de plus en plus difficile de m'extraire — d'autant plus que je n'avais ni la volonté, ni aucune autre raison de le faire.

Et puis, un jour, mon geôlier m'ouvrit la porte sur les mines patibulaires de quatre gardes et m'annonça qu'on me transférait. Je reçus la nouvelle sans la moindre espèce de réaction, même si quelque chose en moi tenta de me prévenir qu'il se passait quelque chose d'anormal. On m'escorta hors du hangar, jusqu'à l'astroport, par le même chemin qu'à l'aller... et à bord de ce qui ressemblait à un vieux cargo hors d'état de voler depuis vingt ans. Le logo du Syndicat était à demi effacé sur son flanc — et il s'agissait d'un ancien logo qu'on ne s'était même pas donné la peine de mettre à jour.

Je crois que je commençai à sentir quelque chose de sérieusement suspect à ce moment-là. La lumière, le bruit, l'air m'avaient partiellement ramené au monde réel, avaient soufflé la flamme de mon délire, et je compris soudain qu'on essayait de me faire disparaître. Je m'arrêtai brusquement, si bien que le garde derrière moi et à ma gauche me percuta de plein fouet.

— Pourrais pas faire un peu attention ? grogna-t-il. Allez, grimpe et nous fais pas perdre de temps. Le temps qu'ils s'aperçoivent...

Une sirène le dispensa d'achever sa tirade.

— Merde ! cria son voisin de droite. On dirait que ça va se compliquer !

Ce fut à ce moment que je réalisai que je connaissais ces voix.

— Grimpe, grimpe, grimpe ! me pressa Sixfeetunder tandis que les deux soi-disant gardiens devant moi sautaient à bord.

Arsenic me jeta presque par la porte — il n'y avait pas de rampe d'embarquement, et elle se trouvait à plus d'un mètre du sol — et je fus tiré à bord par Elric et Shakarûn, qui venaient de m'y précéder. Une seconde plus tard, tout le monde était à bord ; une autre, et le vieux cargo était verrouillé et paré au départ. Tout l'astroport était en alerte à présent ; des hommes armés convergeaient vers nous. Ma captivité avait enrayé tous mes réflexes : je ne parvins même pas à avoir peur. La vieille carcasse bondit du sol au moment où la police portuaire ouvrait le feu.

Je me traînai dans le poste de pilotage pour y trouver Fléchettes rigolant sur le siège du copilote, dont le poste avait visiblement été transformé à la hâte en console d'armement, arrosant copieusement l'artillerie en bordure du terrain à l'aide d'obus de gros calibre — et, à la place du pilote, Alicia.

Si vite, si brutalement, sa vue me causa un tel choc que je faillis m'évanouir. Ma vision se brouilla, le sang me battit à la tête, et je perdis l'équilibre, tombant lourdement entre les bras de Sixfeetunder. Durant les minutes suivantes, je fus incapable de parler, toutes les visions, tous les doutes qui avaient hanté ma captivité revenant soudain me hanter — tous ensemble. Je crois bien que je gémissais comme un bébé ; je ne voyais plus qu'en nuances de blanc et des papillons colorés me dansaient devant les yeux.

— Il est complètement déshydraté, observa Elric. Et il n'a rien dû avaler depuis des jours. Ni dormir, à voir sa tête. Il va y avoir du boulot pour le remettre en état ! Vous êtes sûrs qu'il ne nous a pas donnés ?

— S'il l'avait fait, il ne serait pas dans cet état, répondit Shakarûn. Six, As, portez-le sur une couchette. Pour le moment, il a surtout besoin de repos. Il a fait un boulot extraordinaire et il l'a bien mérité.

Je n'allais certainement pas lui donner tort, et comme refuser un cadeau est une offense à celui qui l'offre, j'entrepris de m'endormir comme une masse.

Je revins à moi pour découvrir la vision légèrement inquiétante, quoique pas laide du tout, du visage de Sheran. D'après les chemins de câbles derrière elle, je me trouvais dans la saint des saints : la salle du réacteur principal. Le simple fait de me trouver ici devait signifier un changement de statut significatif par rapport au moment où j'avais quitté le bord.

Et le fait de me faire servir le petit déjeuner au lit par l'ingénieur en chef devait probablement m'élever au rang de contre-amiral.

— Écoute, me dit-elle d'une voix étonnamment douce, ne va pas t'habituer au luxe, mais on te doit bien tous quelque chose, alors...

Puis, baissant encore la voix, qui se réduisit à un filet d'air chaud et vibrant :

— Et Alicia était dans un tel état avant qu'on te retrouve et qu'on te ramène que je dois bien me résoudre à admettre que tu as quelque chose. J'aimerais seulement bien savoir quoi !

Je devais être en train de rêver. Selon les normes de Sheran, elle était non seulement en train de me faire une grande déclaration d'amour, mais de me demander en mariage, de m'offrir le Luxembourg en dot et de s'excuser de ne pouvoir faire davantage. Je bafouillai quelque chose comme un remerciement confus, et... elle sourit. Elle me sourit, à moi ! Le monde ne tournait plus rond !

Il me fallut un bon moment pour reprendre assez de forces pour être à nouveau moi-même — je parle en jours, pas en minutes de héros hollywoodien. Les premières heures se passèrent assez bien : je venais de dormir longuement — et je parle encore en jours —, j'avais avalé un peu de pain et de viande, bu assez d'eau pour me réhydrater et de vin pour retrouver quelques couleurs ; ni Alicia ni moi n'étions prêts à nous revoir, mais je parvins à passer un peu de temps au laboratoire avec Elric, même si l'épuisement m'arrêta vite.

Et puis je commençai à avoir des hallucinations. D'abord à entendre des sons étranges, mélodiques mais grinçants à la fois, que je crus émaner du vaisseau. Puis des voix, à l'extrême limite de l'audible, s'adressant à moi dans une langue que je ne reconnus pas, chuchotant si faiblement que je distinguais à peine les syllabes. Réalisant ce qui m'arrivait, je filai aussitôt me coucher, mettant le tout sur le compte de la fatigue.

Mais je me réveillai sans même comprendre où je me trouvais, entouré de silhouettes horriblement déformées, et Sheran m'avoua plus tard que je hurlais comme un dément et me débattais au point qu'elle eut du mal à me maîtriser et faillit me balancer par le sas. Brave fille ! Je suis absolument convaincu qu'elle l'aurait fait.

Le noir me terrifiait. Aujourd'hui encore, je ne peux m'endormir que dans une pièce fortement éclairée, avec de la musique — ou au moins des sons assez forts pour éviter le silence. Je commençai très vite à souffrir de migraines, de troubles de la vue et de l'ouïe ; je parvenais à peine à manger, le son de ma propre déglutition me donnait la nausée. Une semaine après ma libération, j'étais dans un état pire que celui où ils m'avaient trouvé.

Ce fut à ce moment qu'Alicia vint me rendre visite.

Nous avions tous deux craint ce moment. Et, si je voulais continuer dans les euphémismes, j'ajouterais que notre rupture avait été difficile, qu'elle devait se sentir coupable et que j'avais autant de mal à ne pas lui en vouloir qu'à ne pas l'idolâtrer. Ou encore que nous avions quelques comptes mal réglés.

Au milieu de ma fièvre, elle émergea telle une figure angélique, solide au point que tout le reste, réel ou hallucinatoire, se dissolut dans une brume colorée. Je devais me trouver dans la salle du réacteur ; je me souviens avoir tendu tout mon corps vers elle sans réaliser que mes muscles ne m'obéissaient pas et, comme dans un demi-sommeil, que je ne bougeais pas d'un pouce. Mais elle vint à moi, se pencha sur moi, me prit entre ses bras, et les voix se turent, cessèrent leur infernal bourdonnement inintelligible mais horriblement suggestif, tandis qu'elle me berçait contre son sein.

Je ne crois pas que l'un de nous prononçât un mot. Mais nous dormîmes ensemble, serrés dans l'inconfort le plus total, enlacés avec une sorte de désespoir, et au matin ma fièvre s'était envolée.

Où le narrateur exerce enfin une terrible vengeance

Reprendre le travail au laboratoire avec Alicia fut sans doute la meilleure chose qui m'était arrivée depuis longtemps. Non seulement réussit-elle — quoique tout à fait indépendamment de sa volonté — à mettre fin à mes cauchemars, mes accès de délire et la plupart de mes hallucinations, mais elle acheva également de me convaincre que, quoi qu'en désirât Shakarûn, elle était parfaitement incapable d'achever mon travail à ma place. Ah, se sentir indispensable ! J'aime la sensation de mon utilité dans un vaisseau pirate gouverné par un capitaine psychopathe !

Ma dulcinée avait mis un peu de temps à s'assurer que je ne lui en voulais pas pour le vilain tour qu'elle m'avait joué, et encore davantage à se convaincre que malgré tout l'amour que j'avais pour elle, je n'allais pas lui livrer le dernier de mes secrets. Soyons sérieux, il garantissait ma sécurité, et je n'avais pas l'intention de mourir pour elle. Si j'avais eu le choix, je n'aurais pas non plus passé un mois dans les geôles du Syndicat pour elle.

— Il faudra bien que tu lâches le morceau à un moment, me dit-elle un jour en fronçant le nez d'un air mutin.

La séduction ne vous mènera à rien, si belle que vous fussiez.

— J'ai déjà lâché le morceau, répliquai-je un peu imprudemment — je m'exposais ainsi à l'ire du capitaine, mais je savais également qu'Alicia n'avait pas manqué de l'informer de nos progrès et qu'elle pensait propablement comprendre ce qu'elle faisait.

Ce qui, dans tout autre spécialité que celle consistant à jouer avec mes sentiments, était parfaitement faux, quoi que je lui laissasse croire. Non, notre relation n'était pas aussi saine qu'elle le paraissait...

— Tu as...

— Tout ce que nous faisons depuis trois jours, c'est construire d'autres trancepteurs. Le composant nécessaire pour exploiter la faiblesse du système est déjà en place.

Je désignai un tout petit morceau de circuit — quelques centaines de portes logiques à peine — et m'émerveillai de la surprise qu'elle afficha. Elle n'avait toujours pas réussi à franchir le cap de la barrière entropique, du théorème de Shannon... c'en était presque triste.

— D'accord. Comment ça marche ?

— Si seulement je te le disais...

— C'est bien ce que tu es supposé faire !

— Tu sais, j'en suis presque certain.

Elle me regarda sans comprendre.

— Je t'aime, Alicia. Je t'aime comme je n'ai jamais aimé personne, et tu m'as sauvé de... je n'ose même pas imaginer quoi. Je te dois certainement beaucoup. Et si la chose était possible, j'aimerais rester avec toi. Mais c'est de ma vie qu'il s'agit. J'en ai vu trop, j'en connais trop sur ce vaisseau, sur vous, sur le capitaine, pour qu'il me laisse partir. Et je ne passerai pas le restant de mes jours sur ce rafiot — ni sur aucun autre d'ailleurs. Je ne vous donnerai ce que vous voulez que lorsque je serai certain d'avoir assuré ma propre sécurité.

J'achevai d'imprimer le circuit sur lequel je travaillais puis mis la machine hors tension. Alicia me regardait avec l'attention d'un prédateur, guettant le moindre de mes mouvements. Elle se demandait sans doute encore si elle devait me considérer comme ami ou ennemi — et bien d'autres choses encore : dans quelle mesure elle avait jamais contrôlé la situation lorsqu'elle se trouvait avec moi, à quel point mes sentiments pour elle étaient réels...

Toutes au demeurant d'excellentes questions auxquelles je préférais la laisser réfléchir de son côté ; ses réponses seraient certainement meilleures que les miennes — moi qui étais tombé irrémédiablement sous son charme et avais dix fois manqué me trahir, lui livrer mes derniers secrets et la laisser décider de mon sort.

Respectant scrupuleusement son silence, j'attaquai l'assemblage au fer à souder. L'usinage atomique était terminé, il ne restait plus qu'à transformer en arme la masse de composants que nous avions fabriquée au fil des jours. Je me retournai vers ma très chère partenaire et me surpris à fixer dans les yeux un pistolet à plasma.

— Prise de décision rapide, appréciai-je avec beaucoup plus d'assurance que je n'en ressentais. Est-ce que tu vas me griller la cervelle avant qu'on ait une chance d'essayer cet engin ?

Son sourire malicieux et le regard perçant de ses yeux verts me crevèrent le cœur.

— Oh non ! Nous allons essayer l'appareil comme prévu. Et tu vas, comme prévu, m'expliquer très en détail le fonctionnement de ce module. Ensuite, tu rentreras dans une capsule de survie et tu pourras enfin réaliser ton vœu de quitter le bord. Une semaine ou deux à la dérive ne te tueront pas, n'est-ce pas ?

Oh, s'ils avaient déjà un plan pour se débarrasser de moi, tout allait bien. Je capitulai avec une facilité qui dut déconcerter mon Alicia, mais elle ne refusa pas de m'aider pour l'assemblage final. Six heures plus tard, nous recevions un message de Bella. Elle avait enregistré une transmission en code. Mon code. La proie passait à portée du chasseur...

— Nous n'attaquerons pas tant que...

— Oui, je sais, soupirai-je. Tant que tu ne sauras pas comment marche le machin. C'est un abaque, rien de plus. Tu lui donnes un message en clair — je tapai furieusement sur le terminal où j'avais connecté le module — et, lorsqu'il reçoit — nouveau duel héroïque avec le clavier — une transmission, il déchiffre — flopée de lignes de commande — le vecteur d'initialisation, et paramètre le trancepteur — j'effectuai quelques branchements — dans la bonne configuration. Puis, par isomorphie, la trancepteur ainsi paramétré, utilisant le message chiffré pour encoder le message en clair, ressort...

Je relevai la tête et vérifiai ma configuration avant d'entrer une dernière ligne.

— ... la clef de chiffrement.

Alicia secoua la tête.

— Ce n'est pas possible...

— De trouver une faille pareille ? Si, évidemment ! Sous la limite entropique, la clef est utilisée comme un simple masque, elle se retrouve par recombinaison linéaire du message en clair et du message chiffré. Tu me suis ? C'est pour ça que j'ai ajouté un vecteur d'initialisation. Le Syndicat avait repéré la faille immédiatement, mais pas celle qui permet de retrouver le vecteur. Ils n'avaient pas prévu l'abaque. Maintenant, tu as les plans, l'engin lui-même, tu devrais réussir à te débrouiller, non ?

Elle réfléchit un instant.

— Alors à l'attaque, répondit-elle.

— Je lance le brouillage... maintenant.

J'activai un trancepteur et réduisis instantanément au silence les émissions de Ganymède. La proie était isolée.

— Je monte sur la passerelle, lança Alicia en franchissant la porte.

Ça, c'était une erreur...

Il me fallut quelques minutes pour intercepter le message standard de reprise de contact et le passer dans l'abaque, et quelques autres pour rentrer dans leur système informatique. Pendant ce temps, le Silure, se maintenant hors de portée des détecteurs de sa proie, manœuvrait pour se placer dans son sillage. Ce que je savais parce que mon terminal affichait maintenant toutes les informations tactiques du vaisseau pirate — quoique je ne fusse aucunement habilité à les consulter avec mes accès limités à l'ordinateur de bord.

Quelqu'un allait bientôt réaliser...

D'une commande, je mis hors-service le capteur de champ électrique principal, forçant un auto-diagnostic qui durerait au moins dix minutes. Le Silure était aveugle, ou presque. Personne n'avait pu se rendre compte, à cette distance, en aussi peu de temps, que ce que nous pourchassions n'était pas précisément la proie que tout le monde attendait... Il fallait le savoir, ou du moins s'en douter — et mettre un pied dans leur informatique de bord — pour s'en rendre compte.

Fort heureusement, les croiseurs lourds de l'armée et les cargos du Syndicat se ressemblaient beaucoup.

— Je suis prêt à prendre la main, lançai-je dans l'interphone.

— Commande l'ouverture et la décompression des soutes, ordonna Shakarûn.

Jawohl, Herr Kapitän !

Je naviguais dans les consoles d'artillerie de notre ennemi, qui ne se doutait encore de rien. Une toute petite manipulation suffit pour supprimer toutes les sessions en cours et passer les profils des artilleurs en lecture seule. Une autre pour charger une torpille thermonucléaire dans un tube, ouvrir les portes et tirer. Et, dans la foulée, déclencher le signal d'évacuation d'urgence...

— C'est un rafiot militaire ! cria soudain Bella dans l'interphone.

Même sans son œil directeur, le Silure y voyait assez bien pour reconnaître une torpille de gros calibre.

— Désengage ! me cria Alicia. Sors de leur système, avant qu'ils ne nous détectent.

La tension montait ; mes nerfs étaient bien trop fragiles pour cela. Je coupai l'interphone, verrouillai la porte de la salle de chargement et, pour la forme, la connectai au bus électrique principal — 40 000 Volts, si ma mémoire ne me trompait pas. Je me concentrai sur le pilotage de ma torpille.

C'était un modèle bien particulier, embarquant une petite charge disposée à l'intérieur d'une enveloppe réfléchissante, de sorte que le souffle n'en était pas bien dévastateur, mais que l'impulsion électromagnétique était concentrée sur une petite zone et dirigée avec une extrême précision. Mon missile dévia sur bâbord, plongea et, en quelques secondes, adopta son cap définitif et sa vitesse de croisière — vers Ganymède.

Et en particulier vers les usines du Syndicat, leurs machines hors de prix, irremplaçables et si fragiles que les ouvriers eux-mêmes en étaient tenus à l'écart par des hommes larges d'épaules en costume sombre mal taillé. Des machines protégées des radiations par rien de plus que la mince couche d'acier du toit d'un hangar...

Je sens qu'on me traitera bientôt d'irresponsable. Prendre le contrôle d'une torpille, détonner une charge thermonucléaire au-dessus d'une zone habitée — je comprends l'a priori négatif que cela peut générer. Mais j'avais eu le temps de préparer mon coup : je connaissais tout de la charge, du propulseur, de la portée des différents types de dégâts ; je savais où et quand faire sauter mon engin pour éviter toute contamination radioactive et limiter les dommages électromagnétiques au complexe industriel que je visais. Et à quelques pâtés de maisons autour, au maximum.

Je fis sauter la torpille au moment où Sheran en faisait autant à ma porte, Alicia et Shakarûn dans son sillage.

— Espèce de... serpent ! siffla ma dulcinée. Qu'est-ce que tu as fait ?

Je l'ignorai. Le capitaine me regardait avec calme, sans son air vaguement hostile ou accusateur habituel. Il y avait peut-être même — mais je prends parfois mes rêves pour des réalités — une touche de respect dans son attitude. J'avais joué suivant ses règles, scrupuleusement respecté ses ordres, quoique non sans renâcler, je lui avais — littéralement — donné tout ce qu'il attendait de moi... et j'avais exécuté mon plan en me servant de lui, complètement à son insu.

Parce que je savais que le Syndicat vendrait cette technologie à l'armée. Et je savais que l'armée ne manquerait pas de l'utiliser sur tous ses navires disponibles. Et que presque tous les rafiots militaires du secteur utilisaient le même système d'exploitation antédiluvien et criblé de failles de sécurité, et qu'ils embarquaient les vieilles torpilles thermonucléaires que les Russes ne voulaient même pas se donner la peine de transporter dans leurs colonies hors du système solaire.

Et je savais, depuis une minute à peine, que le Syndicat était condamné à une brève mais sanglante agonie — toutes ses données effacées, toutes ses machines grillées, toute sa production en cours avortée. Pas un seul des composants électroniques de haute précision du complexe d'usines de Ganytown n'avait survécu à l'impulsion électromagnétique.

J'avais tenu ma promesse ; les pirates tinrent la leur. Sheran se fit un plaisir de m'enfermer dans un module de survie et de m'expulser du bord avec perte et fracas.

Et, tandis que la capsule dérivait en orbite haute autour de Jupiter en émettant son signal de détresse, je me pris encore une fois — qui ne serait pas la dernière — à regretter ce que j'avais vécu avec Alicia. Elle avait été une compagne extraordinaire, malgré tous ses défauts ; je doute de rencontrer un jour quelqu'un d'aussi fort et d'aussi passionnel. Je crois bien que cette fois-là, je pleurai même un peu.

Mais il restait une question qu'il me fallait éclaircir. Nous avions joué l'un avec l'autre, feint et ressenti tellement de sentiments différents que nous n'avions plus la moindre idée de qui nous étions réellement. Nous avions repoussé les barrières de l'impossible. Mais... Mais... Mais avait-elle complètement compris, conceptuellement embrassé, en un mot, intégré toutes les implications et les conséquences, directes ou indirectes, du fait de laisser un appareil conçu par mes soins connecté à un terminal relié à son ordinateur de bord ?

Je tirai de la poche de ma combinaison mon microterminal et un trancepteur miniaturisé ; en un instant, les commandes de vol du Silure me régalèrent les yeux. Un instant plus tard, par rebond, je contrôlais celles du croiseur, dont l'équipage avait quitté le bord précipitamment suite à mon alarme et dérivait dans des véhicules très semblables au mien. L'énorme masse du vaisseau de guerre se mit en mouvement et se dirigea vers ma balise de détresse.

Non, je n'allais pas passer deux semaines dans l'espace.