Союз

Le premier homme officiellement envoyé dans l'hyperespace fut un Américain, John McKingsley Jr. Parti de l'ISS le 3 juin 2141, il plongea dans le magma mathématiquement incompréhensible et physiquement rafistolé à coup d'équations approximatives qu'était l'espace à six dimensions et accomplit ainsi le premier trajet Lune-Uranus en un temps égal à zéro. Le président lui décerna une quelconque médaille, et la presse enregistra son discours dissonant que la NASA avait fait écrire par ses responsables de la communication, sans doute eux-mêmes surveillés par la CIA. Puis, bien sûr, les Chinois suivirent, talonnés par les Russes et les Sud-Africains.

Ce que raconta John McKingsley Jr. en revenant sur Terre, deux semaines après son exploit, ne fut jamais révélé au grand public, et j'ose même affirmer que beaucoup parmi les hauts dirigeants de l'agence spatiale l'ignorent. À l'extérieur du continuum, il existait encore quelque chose qui pouvait s'apparenter au temps — quelque chose que l'esprit interprétait après coup comme une sorte de fantasme, mais qui durait bel et bien le temps nécessaire à la lumière pour franchir la distance à parcourir.

Le seul souvenir flou que gardait l'astronaute fut une légère défaillance de son ordinateur de bord qui lui fit réintégrer durant une fraction de seconde l'espace normal ; certains psycho-neurologues avancent que sans cet incident mineur, il ne lui serait resté aucun souvenir de la transition hyperspatiale. Mais durant un instant, tout s'éteignit à bord, et l'écran afficha soudain une série de lignes de texte dans la vieille typographie système du XXe siècle. Le brave Johnny, qui n'était pas expert en langues étrangères, puisqu'il était anglophone et militaire à la fois, n'y comprit rien, mais on parvint par mémo-sondage à lui extraire quelques images pratiquement illisibles de l'esprit.

On repéra nettement le mot "Soyouz", orthographié en cyrillique.